post kusama – tu n’as rien vu à Hiroshima

Bonsoir chers amis,

Merci Véronique et Dominique pour vos commentaires passionnants sur l’exposition Yayoi Kusama!

Beaucoup de pistes intéressantes en effet pour une réflexion plus psychanalytique qui s’inscrirait dans un travail en cartel à davantage préciser… Merci Alain pour cette formidable proposition!

Cette citation de Yves-Claude Stavy, relevée dans un récent numéro de Confluents, me parait également apporter quelques lumières  :

« Ce à quoi convoque chaque expérience psychanalytique, c’est la rencontre toujours singulière …(d’)une jouissance opaque, qu’emporte le symptôme avec lui. C’est sur ce point précis que l’artiste devance le psychanalyste: il y a ce qui relève de l’interprétation; et il y a ce qui relève du témoignage d’un incurable. L’objet de la clinique sitôt qu’on s’oriente de Freud et de Lacan, c’est l’objet a…L’artiste devance le psychanalyste, en cette exigence de témoignage d’une jouissance pas toute réductible au noyau élaborable qu’est l’objet a. »

J’ai aussi beaucoup apprécié cette exposition, avec une préférence pour la première période japonaise, (1949-1957), regroupant ses premières peintures très marquées par « l’après Hiroshima », mêlant les thèmes de la mort, de l’anéantissement, du corps, de la séparation, de l’énigme de la féminité, avec dés 1950   » l’élément fondateur de sa pratique artistique, le motif du Dot (pois ou point) comme substitut de son Auto-portrait, annonçant déjà la dissolution de sa propre image et de son individualité dans l’infini d’un paysage cosmique. » (brochure de l’exposition).

Je joins en aparté le chapitre 1 du film Hiroshima mon amour trouvé sur Youtube, film que j’avais en tête en découvrant l’exposition Yayoi Kusama.

« Tu n’as rien vu à Hiroshima… »  http://www.youtube.com/watch?v=2UpPd-2wWlc&feature=share

A bien vite.

Amitiés.

Géraldine.

n’importe quoi et de la représentation à la présentation

Cher,
Chers,
Peut-être en réponse à Alain du matin, ce texte, long et vieux, que j’ai récemment retravaillé,
amicalement,
véronique

2 février 2006, 9:10 [8 novembre 2011]

 « Fais n’importe quoi. Point. Sans conditions. Fais absolument n’importe quoi. »*

* Et le « fais n’importe quoi » n’est jamais inconditionné mais il faut qu’il le soit. A l’universalité de l’échange, la loi de la réalité, il faut opposer, muette et incompréhensible, la loi de la nécessité qui est aussi nécessité de la loi. L’impératif « fais n’importe quoi » est un impératif catégorique.
Thierry de Duve,  Au nom de l’art,  “Fais n’importe quoi”, p. 129.

« Si, comme je le soutiens, “fais n’importe quoi” est bien un impératif catégorique, alors il faut aller plus loin et dire que l’universel est impossible, ou que l’impossible est aujourd’hui la modalité de l’universel. La phrase “fais n’importe quoi” ne donne pas le contenu de la loi, seulement le contenu de la maxime. Et encore ce contenu est-il quelconque et ne devient-il déterminé que par l’action qui met la maxime en pratique. Cela ne prescrit qu’une forme conforme à l’universel dans les conditions radicales et finales de la finitude. Et cela signifie : conforme à l’impossible. »
Ibid. pp. 133-134.

Des années que je me coltine ce « n’importe quoi » de Thierry de Duve et que je ne m’en dépatouille pas.

« Fais n’importe quoi » est pour lui l’impératif catégorique de l’art moderne.  C’est au départ de cette maxime qu’il analyse l’art moderne qu’il date, si ma mémoire est bonne,  à Courbet et à ses « Casseurs de pierre » et qu’il appuie sur une analyse fouillée de l’œuvre de Marcel Duchamp.

« Fais n’importe quoi », impératif catégorique, absolument sans condition : conforme à l’impossible. L’impossible, c’est, ce serait, l’impossible de l’universel. Expression-là probablement pour une part de ce qui m’aimante dans la proposition de Thierry de Duve. Le « n’importe quoi » seul permet de rendre compte de l’impossibilité de l’universel.

Quand le fond de l’enjeu de mon attachement à cet enseignement se situe probablement dans le fait qu’il s’agissait pour moi, qu’il s’agit pour moi, de trouver ce qui fait la valeur dans l’art, ce qui fait la valeur de l’art. Mon père étant artiste et n’ayant jamais moi-même eu l’impression d’avoir jamais rien compris à l’art, cet enjeu est certainement très capital. Qu’est-ce qui pourrait faire que l’art ça ne soit justement pas n’importe quoi.

Comment juger ? Juger de l’art ?

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l’objet nu du mathématicien prolétaire

Chère Catherine,

A propos de la beauté, de la bonne forme : Lacan s’en est toujours méfiée, me semble-t-il. Alors, comment préciser cela ?

Par ailleurs, il me semble que vous avez vu des choses qui rendait compte de la subjectivité à l’œuvre encore dans la démarche scientifique. Or, cette subjectivité – qui transparaît dans le style, la signature, dont tu parles – , est également ce que la science en premier chef tente à forclore : de sujet, point. Ce dont pâtit le monde contemporain et qui nous vaut le triste règne de l’évaluation. Où, comment se situe la distinction?

 À propos de l’objet du mathématicien, j’ai retrouvé cet extrait du cours de Miller du 9 mars 2011 (là : https://disparates.org/lun/2011/03/jam-9-mars-2011-de-l-ontologie-a-lontique/ ), au départ d’un texte d’Alain (https://disparates.org/lun/2011/03/le-mathematicien/ )

Tu verras que dans son cours Miller oppose l’objet de l’analyste et celui du mathématicien. L’objet de l’analyste a affaire avec les passions, « l’objet du mathématicien lui ne se laisse pas émouvoir. Il est rebelle, rétif à toutes les afféteries, les blandices de la parole. »

Qu’en penses-tu ? Qu’en pensez-vous ?

Bien sûr, je n’ai pas vu l’expo en raison de mon incroyable erreur qui a fait que je me suis retrouvée, avec Frédéric, à Maison Rouge, pour une autre exposition, plutôt qu’à la Fondation Cartier.

 Bises à toi, Bises aux autres,

 Véronique

 Ci-dessous, l’extrait concerné du cours (ma transcription) :

 […] je vais vous lire quelques lignes, non sans accents poétiques, d’un texte sur les affinités des mathématiques et du réel, d’un professeur pour lequel Lacan n’a eu que des sarcasmes, sans doute trace d’une dilection de jeunesse. Comme ça avait d’ailleurs été le cas pour Paul Valéry [ dont on sait par… (ex femme?) qu’il n’avait pour lui que des louanges dans sa jeunesse].

Jam lit:

Le mathématicien ne pense jamais sans objet. Je dis bien plus ; je dis que c’est le seul homme qui pense un objet tout nu. Défini, construit, que ce soit figure tracée ou expression algébrique. Il n’en est pas moins vrai qu’une fois cet objet proposé, il n’y a aucune espérance de le vaincre, j’entends le fondre, le dissoudre, le changer, s’en rendre maître enfin, par un autre moyen que la droite et exacte connaissance et le maniement correct qui en résulte. Le désir, la prière, la folle espérance y peuvent encore moins que dans le travail sur les choses mêmes, où il se rencontre bien plus qu’on ne sait, et enfin une heureuse chance qui peut faire succès de colère. Un coup désespéré peut rompre la pierre. L’objet du mathématicien offre un autre genre de résistance, inflexible, mais par consentement et je dirais même par serment. C’est alors que se montre la nécessité extérieure, qui offre prise. Le mathématicien est de tous les hommes celui qui sait le mieux ce qu’il fait.“

Alain, Esquisse de l’homme, 1927, “Le mathématicien”, 24 juin 1924.

L’auteur, c’est ce personnage éminent de la III° République, qui fut le penseur de référence du parti radical alors à son apogée, enseignant de khâgne à Henri IV et qui se choisit comme pseudonyme tout simplement Alain.

[ …]

« Le mathématicien est prolétaire par un côté. Qu’est-ce qu’un prolétaire ? C’est un homme qui ne peut même point essayer de la politesse, ni de la flatterie, ni du mensonge dans le genre de travail qu’il fait. Les choses n’ont point égard et ne veulent point égard. D’où cet œil qui cherche passage pour l’outil. Toutefois il n’existe point de prolétaire parfait; autant que le prolétaire doit persuader, il est bourgeois ; que cet autre esprit et cette autre ruse se développent dans les chefs, et par tous les genres de politique, cela est inévitable et il ne faut point s’en étonner. Un chirurgien est prolétaire par l’action, et bourgeois par la parole. Il se trouve entre deux, et le médecin est à sa droite. Le plus bourgeois des bourgeois est le prêtre, parce que son travail est de persuader, sans considérer jamais aucune chose. L’avocat n’est pas loin du prêtre, parce que ce sont les passions, et non point les choses, qui nourrissent les procès.»

Il invente de définir le mathématicien comme un “prolétaire”. Dans le travail du mathématicien, il n’y a en effet pas de place pour la politesse, la flatterie, les mensonges, on a affaires aux choses et non aux passions, on n’a pas à plaider. C’est une philosophie qui oppose parole et action.

[…]

Quand on a affaire à ce qu’il appelle les passions, on les dirige par la rhétorique, on s’y rapporte par l’art du bien dire. Et d’ailleurs quand on cherche à recomposer la théorie des passions d’Aristote, on va d’abord voir dans sa rhétorique, c’est-à-dire l’art d’émouvoir. L’objet du mathématicien lui ne se laisse pas émouvoir. Il est rebelle, rétif à toutes les afféteries, les blandices de la parole.

 – Opposition entre le rhéteur et le mathématicien. –

Le désir, la prière, la folle espérance ne peuvent rien sur l’objet.

Et quand Lacan dit “Je suis un rhéteur”, il ne s’agit non pas là d’une déclaration de son goût, sinon que le psychanalyste à affaire à une chose qui se meut et se meut par la parole.

La chose du psychanalyste est à l’opposé de l’objet du mathématicien.

L’inconscient est mû par la parole. La formation du psychanalyste – quand il y a formation, apprentissage, c’est avant tout une forme rhétorique. Quoi dire, et ne pas dire? On apprend comment agir par la parole sur les passions. c’est-à-dire sur le désir qui les résume toutes.

 

« L’ASSIETTE TUEE » – Pensée maya

Il existait une croyance selon laquelle les objets ayant appartenu à ceux qui gouvernent avaient le pouvoir d’absorber l’énergie. Ce pouvoir s’accroissait avec le temps et devenait tellement important que l’on devait « tuer » l’objet afin d’empêcher quiconque n’étant pas son propriétaire attitré d’en faire usage. Ce rituel de « mise à mort » consistait à mutiler les visages des sculptures et de perforer la céramique. Il est donc probable qu’avant d’intégrer ces objets au mobilier funéraire, on en retirait l’énergie pour les transformer en artefacts inertes.

J’ai trouvé cette croyance extraordinaire, surtout que des objets devenaient sans son propriétaire des « artefacts inertes » !? Ils l’étaient pas avant?

La relation que nous avons aux objets est ici déjà mise en question, et les croyances primitives que se trouvent encore être d’actualité chez certains sujets fragiles ou chez l’enfant, relève bien de cela. 

 Tuer un objet, je n’avais jamais pensé à cette possibilité ! Caramba !

 Lunita

Les Masques de jade mayas
À la Pinacothèque de Paris, du 26 janvier au 10 juin

extraction et continu

chère catherine et chère isabelle,

 catherine d’abord : à propos de la séparation de l’objet, cela m’est revenu ce matin au réveil, j’avais envoyé un texte sur escapades – celui qui traitait du « n’importe quoi » -, où pour illustrer ce qui me semblait témoigner d’un nouveau tour pris par l’histoire de l’art, j’avais parlé du tableau de Manet, « L’asperge », où l’on voit une asperge sur le bord d’une table :

« or, en ce temps-là, il y a eu moment où c’était fait (Manet, l’asperge),http://escapadesculturelles.files.wordpress.com/2011/11/manet-asperge.jpg?w=300 l’asperge était extraite.

évidemment, ça se serait fait sur le bord de la table, au bord du vide, mais il y avait le cadre il y avait le nom il y avait la signature, eût-elle été pâteuse, parachèvement_

(d’éthique: d’un rendre compte de l’objet, sans se confondre avec lui, en s’en séparant) »

j’ai oublié de mentionner ça, samedi.

je vous avait dit (d’un point de vue historique) : à la renaissance, naissance de la perspective : apparition du sujet au point d’infini de la perspective (H. Damisch) et traité d’Alberti à la « fenêtre du tableau » : l’istoria : l’écriture, dans le cadre du tableau, du fantasme (cf. gérard waczman…)

je vous avais mentionné le livre de françois wahl : le discours du tableau

et puis, thierry de duve, Dieu est mort : avancée du « n’importe quoi » (Courbet, ses Casseurs de pierre, plus tard, de façon d’autant plus exemplaire : Duchamp). « n’importe quoi » que je dis de la pulsion (donc de l’objet) , temps donc, de l’extraction de l’objet, de la séparation, de la présentation.

 

 

et puis, Isabelle, à la suite de ça, ce passage sur l’extraction de l’objet, j’écrivais également :

« Tandis que nous, c’est comme si de cette extraction, on ne sortait pas, on ne sortait plus.

Et si le signifiant a fonction de porte (il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée), cette fonction, qui délimite un dedans et un dehors, n’est plus très assumée/assurée.

Comme si de l’être-même de la porte nous ne sortions plus. De son bois (hêtre) dont nous sommes chauffés, dont les gonds jouent au gré de vents auxquels nous ne pouvons rien, si forts parfois que nous en sortons. Des gonds sortons et alors_
/ cette chute – à laquelle l’asperge aurait pu sembler promise »

il s’agit donc d’un texte ancien, d’une époque où je réfléchissais à ce que je faisais dans les blogs, à ce qui se faisait dans les blogs, auxquels effectivement j’essayais de penser comme à « ce qui ne cesse pas de s’écrire ». je voulais revenir là-dessus dans la mesure où c’est l’expression qu’a reprise également Isabelle en découvrant l’exposition Ai Wei Wei.

mon expérience des blogs était bien celle d’une nécessité que je qualifierais d’impérieuse, il était vraiment très difficile de ne pas le faire, cela s’imposait à moi, me prenait « toute » (c’est un peu ma tendance, hein). et dans cette expérience-là, j’avais le sentiment, qu’effectivement « l’objet n’en finissait jamais de sortir »… (ça me paraît un peu atroce de dire ça, mais bon).

voilà, il me semble que c’est également une piste de travail intéressante, et je suis très heureuse que nos mots, à isabelle et à moi, se soient rencontrés là-dessus…

si, nous pouvions réfléchir à ça ensemble, j’en serais heureuse (internet, le présent continu, le perpétuel work in progress, le brouillon infini, l’addiction, bien sûr, etc.) (s’agit-il de « résister au présent ? »)

bien à vous,

à bientôt chers escapadeurs,

véronique