– DES TRADITIONS À LEUR ENVERS –
Je voudrais vous faire part des impressions et réflexions que m’ont inspirées mes deux dernières escapades au cœur de deux cultures extrême-orientales : le Japon d’une part avec le spectacle des Tambours japonais de Kodo dirigés par Tamasaburo Bando sous le titre « Dadan » auquel j’ai assisté à la dernière (à plusieurs !) au Théâtre du Châtelet le samedi 18 février et la Chine d’autre part avec l’exposition de l’architecte et photographe Ai Weiwei intitulée « Entrelacs » que j’ai visitée (à deux !) au Jeu de Paume en son jour d’inauguration le 21 février.
J’aimerais vous faire partager le contraste flagrant auquel j’ai été sensible qui a émané de ces deux événements culturels vécus à trois jours d’écart. Autant les percussionnistes de Kodo avec leurs multiples tambours et grosses caisses m’ont semblé transmettre à la perfection des traditions séculaires qui se perpétuent depuis quarante ans dans « la lointaine île de Sado, en mer du Japon » même si celles-ci ont été revisitées par une chorégraphie moderne dirigée par Tamasaburo Bando ; autant les photographies et les blogs de Ai Weiwei m’ont laissé dans un certain malaise à montrer l’arasement de la culture chinoise traditionnelle réputée pour être plusieurs fois millénaire et ce au nom de la mondialisation et du profit financier à tout crin.
Autant les tambours de Kodo ont fait battre mon cœur d’occidental (il faut noter qu’en langue japonaise « kodo » signifie « battement de cœur »), autant les clichés de Ai Weiwei m’ont déprimé à constater les ravages perpétués sur les villages ancestraux pour laisser la place aux buildings « made in monde », aux « Down Town » standardisés, banalisés où scintillent les lettres des grands financeurs.
Le spectacle « Dadan » était impressionnant de maîtrise de cet art des percussions aux sonorités inimaginables associé à une chorégraphie très physique voire sculpturale. Une pure beauté qui a été fort applaudie. J’ai eu le sentiment très étrange mais en même temps très rassurant d’avoir traversé toute l’histoire de l’humanité jusqu’à l’origine primitive de la communion humaine par la découverte de la musique. Il m’a semblé évident que les percussions ont été les premiers outils de la sublimation du caractère animal dont étaient encore empreints les primates (je vous renvoie aux premières scènes du film de Stanley Kubrick 2001 L’Odyssée de l’espace !) Je me suis senti très proche de mes ancêtres du Neandertal. Quoi de plus troublant et réjouissant que cette chaîne humaine que les tambours de Kodo perpétuent !
La mise en images de la Chine nouvelle par Ai Weiwei m’est apparue plutôt de l’ordre d’une coupure radicale entre la tradition et l’individualisme outrancier. Les doigts d’honneur perpétués par l’artiste jusqu’à plus soif (sous couvert de ce qu’il nomme une « perspective ») devant les représentations de la diversité des cultures du monde (Paris, Venise, Rome, Berlin, New-York…) finissent par donner la nausée tant la dérision et la position de déchet sont à leur comble. Comme si ces doigts d’honneur pointaient l’arasement de la différence pour privilégier le « tous pareils ! » N’est-ce pas tout bonnement ce qui se profile à notre horizon prochain ?
Mais fort heureusement il y a encore des percussionnistes pour nous savoir encore des sujets doués d’humanité.
Bien à vous.
José Rambeau (le 22 février 2012)