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Avril, 28 ou 29, dimanche, 16h28, 2007

Je voudrais arriver à écrire à propos de la dernière séance, de jeudi, mais je ne me souviens de rien. J’écris au porte-mine, dans un carnet de dessin, c’est plaisant. Je suis couchée sur le lit, la fenêtre de la chambre est ouverte. On attend l’orage. Malgré le bruit qui persiste, j’aime le calme des dimanches. Jules m’embête, il n’a pas voulu faire sa sieste, il est joliment habillé, d’un short vert et d’un petit sweat rayé, dans les verts également. Il s’est installé sur mon dos. Frédéric, lui, est dans la salle, lit ; cela ne lui arrive pas souvent. Il faudra que je lui demande ce qu’il lit. Ca sent le dimanche à plein nez. Avec cette chance que demain ce soit congé. Congé ? Vraiment ? Frédéric prend-il congé ? Fait-il le pont – c’est le premier mardi – Fête des travailleurs. Mamyline probablement nous enverra du muguet. J’ai aujourd’hui planté des fleurs dans la jardinière de la fenêtre de la chambre et réparé une porte d’armoire cassée dans la cuisine. Dimanche, encore, dimanche toujours. Je crois que par la fenêtre derrière moi, Jules regarde dehors des enfants rouler à vélo. Retour à séance ? Ou l’oubli vaut-il mieux ? (Jamais, je n’aurai le courage de recopier tout ceci dans le blog ; je trouve mon écriture vieillotte).

Séance. Je dis que les habits sont ce qui me sépare du monde – les habits, les difficultés que j’éprouve à m’habiller, les angoisses que ça cause, le temps que ça prend, le temps que ça prenait, beaucoup plus avant, les retards où ça me mettait, à l’école, au travail plus tard. La recherche où j’étais d’un vêtement auquel je colle. Mon renoncement, ma perte aujourd’hui, de ce vêtement avec lequel je fasse une.

Il me demande si je me souviens de la première fois où j’ai eu ces doutes vestimentaires. Je suis obligée de lui répondre que non. Je n’en m’en souviens, souvenais pas. Il me semble que c’est de toujours. (Je me rends compte que ce qui a provoqué l’oubli de cette séance-là, c’est l’abondance même des souvenirs qu’elle a provoquée).

Je suis amenée à parler du « viol », que je ne fais que mentionner en précisant que je déteste ce mot, utiliser ce mot pour ce qui s’est passé. Il y a eu ça, puis d’autres choses dont je n’ai pas le cœur à parler – ces choses donc après lesquelles, il se dessine que mon rapport aux vêtements aurait changé.

Avant, les sorties, les vêtements provocants (il dit « le défi au père »). Le shopping, seule, les achats, les vols dans les magasins, l’argent volé à mes parents. Et si déjà j’y mettrais du temps, je finissais toujours par trouver comment m’habiller. Et je sortais, guerrière.

Après, finalement Roger, le théâtre, puis le déménagement. J’habite seule. Et petit à petit, je n’ai plus su, comment m’habiller. Et petit à petit, ça s’est précisé, je n’arrivais plus à m’habiller, je n’arrivais plus à acheter de vêtements. Je ne sortais pas faute de savoir comment m’habiller. L’orage est attendu. Il fait sombre. Jules a quitté la pièce. La difficulté de plus en plus grande à acheter des vêtements. Ceux autour desquels je tournais pendant des heures, jusqu’à ce que je m’en retourne chez moi, dépitée, de tristesse morte. Idem pour le coiffeur. L’excuse prise de l’argent que je n’avais pas. De l’argent, je ne parle pas en séance, je ne m’en souviens qu’après. En même temps, je maigris. Je cesse d’être boulimique. Mes réponses, toujours les mêmes quand on m’invite à sortir : je ne sais pas comment m’habiller. L’impossibilité de sortir seule, l’impossibilité d’être belle. Si d’aventure, il m’arrive de malgré tout acquérir un vêtement que j’aime vraiment – à l’ancienne, à la façon d’avant – le vêtement aussitôt donné. Donné à une autre femme. Donné à l’autre femme.

Enfin, je lui parle de l’angoisse quand le weekend arrive et qu’il va falloir sortir – donc s’habiller. Cette angoisse qui me rend agressive, à laquelle j’échappe en me terrant dans mon lit. Je parle de ce à quoi j’ai renoncé – être bien habillée, l’image avec laquelle, je serais totalement en accord, je ne ferais qu’une.

D’avant à après, il y aurait la séduction devenue impossible. Le vêtement, c’était le sexe, la femme. Après, ça aurait été l’insupportable de ça – l’insupportable du désir de l’autre.

Je ne sais pas si ça peut être réduit comme ça. On entend les roulements de tambour du tonnerre. Jules fait des bêtises.

J’aime en été, la fraîcheur et le calme avant l’orage.

29 avril 2007 - 20:43 / séances /