penser (dans) l’expérience analytique
Il s’agit ici du réel dans l’expérience analytique, dans la vôtre aussi bien, comme analysant et comme praticien. Et non pas seulement parce que du réel, Lacan en a parlé et que nous essayons, ici, depuis de longues années, de le déchiffrer. Car si du réel il a parlé, c’est pour nous diriger, nous orienter, nous faire entrevoir en quoi l’expérience analytique, celle à laquelle nous nous prêtons comme analysant, celle que nous mettons en branle comme praticien, en quoi cette expérience demande, pour être pensée, que soit introduite la référence au réel.
Je dis « pour être pensée ». La question se pose de savoir pourquoi l’expérience analytique il faudrait la penser. Après tout, on pourrait s’en passer. La meilleure preuve, c’est qu’on s’en passe très bien, au nom d’un « ça marche ». On constate que, même si on ne s’y retrouve pas, eh bien, dans un certain nombre de cas, ça marche quand même. Et, on peut s’en satisfaire. On apprend souvent à s’en satisfaire. On pourrait appeler ça du « pragmatisme ». On parle de pragmatisme chaque fois qu’on considère que ça se passe très bien d’être pensé. On pourrait, pour asseoir cette position, jeter la suspicion sur la « volonté de penser ». Et il ne serait pas difficile de soutenir qu’elle conduit à des élucubrations incertaines. À ce que Kant appelait « Schwärmereien », des rêveries illusoires, inconsistantes. On pourrait même en trouver la preuve dans les variations de la doctrine de Freud. Dont le développement est scandé par le passage d’une topique à une autre. On la trouverait encore plus commodément en considérant les variations de Lacan. Ce qu’il appelait ses « avancées », tout au long de 30 années d’enseignement, où il se déprenait régulièrement de ses écrits. Tout au long de ce temps, il pouvait se vanter de ne jamais se répéter, de ne jamais dire la même chose, mais justement, il serait aisé d’en faire une objection. S’il y a une pensée qui ne s’arrête jamais, peut-être mérite-t-elle, à ce titre, d’être négligée. Et, ce qu’on pense pâlit auprès de ce qui se fait, ce qui se passe, ce qui a lieu. Et on pourrait même dire que dans la psychanalyse, ce qui a lieu se tient essentiellement au niveau du cas, dans la singularité. Et que le concept est impuissant à saisir cette singularité. Et donc penser peut sembler très à distance de ce qui a lieu. Et puis au-delà, on pourrait prendre appui sur un dit de Lacan dont on ferait un slogan « L’analyste ne pense pas ».
Dans son acte, il s’efface, efface sa pensée, il retient sa volonté de penser. Et reste sa présence : il doit être là. Le minimum c’est qu’il livre son Dasein. À la limite, on pourrait même soutenir qu’il pourrait se passer d’être là. C’est en tout cas, la pensée maligne que donnait cette anecdote qui a été colportée sur Lacan. Qu’il s’était une fois fait payer une séance alors qu’il était absent. Mais, ce n’est pas forcément infondé puisque déjà, celui qui a à penser, à savoir l’analysant, avait mis en train ses associations. Et qu’il n’ait pas eu la possibilité de voir l’analyste, de lui toucher la main, c’est un détail qui peut passer sans importance. M’enfin, on se gardera de faire la théorie de l’analyse sur le fondement fragile de cette anecdote qui a fait rumeur, mais dont rien ne valide le fait, et ensuite peut-être les circonstances, si ça a été un fait. Toujours est-il que l’accent est mis sur la présence de l’analyste au détriment de ce qui serait la pensée. C’est que la pensée vue dans la perspective de l’expérience analytique a des accointances avec le fantasme. Et donc, on peut jeter la pensée, si je puis dire, avec l’eau du fantasme.
Qu’est-ce que ce serait une présence sans pensée ? Une présence de l’analyste qui serait toute réceptivité. Et qui ouvrirait sur un « laisser-être ». Bon. J’arrête là ces suppositions, dont il faut croire qu’elles ne vous touchent pas puisque vous êtes ici. Ici, où pour ma part, je compense ma non-pensée comme analyste dans l’acte en me livrant à des exercices de pensée. Et je me contente d’opposer à tout ce qu’on pourrait développer à l’encontre de la volonté de penser, ce que Lacan formule au titre d’un « tirer au clair »
C’est une expression qui figure dans la réponse que jadis il m’avait donnée quand je le mettais à l’épreuve des trois questions kantiennes, elles-mêmes reprises de la tradition philosophique, et spécialement de celle-ci, où elle sublime, « Que dois-je espérer ?» Et Lacan avait eu la malice de l’entendre comme assumée par moi en première personne. À cette date en effet, la question pouvait se poser pour moi. La question « Que dois-je espérer…. de la psychanalyse ? » Et Lacan de répondre « La psychanalyse vous permettrait de tirer au clair l’inconscient dont vous êtes le sujet. »
Et, il y a dans ce « tirer au clair » en effet quelque chose qui sans doute m’était adressé comme sujet, puisque mon goût de la clarté, ma façon d’être clair n’échappe pas à mes auditeurs, mais au-delà indique l’orientation dans le « penser l’expérience analytique ».
C’est un fait que certains essaient de s’y retrouver. Pas de se retrouver, il ne s’agit pas de se retrouver soi-même, mais d’organiser ce qui se présente. C’est bien ce qui animait Lacan quand il disait qu’il avait consacré son séminaire, au moins longtemps, à faire des allées à française de ce qui était le fouillis des concepts freudiens.
ce qui ne s’apprend pas de la pratique
Au-delà, il y a une dimension que l’expérience nue n’introduit pas. C’est celle que vous dit Lacan dans les Autres Écrits, p. 461, quand il écrit : « il s’agit de structure, soit de ce qui ne s’apprend pas de la pratique». Il y a là, il faut le souligner, une discontinuité, un saut qui est à faire pour penser l’expérience au niveau de la structure. Encore, faut-il savoir laquelle.
La psychanalyse est en effet une pratique. Ça veut dire que ça n’est pas une théorie. Elle implique une mise en acte, elle est une mise en acte. Et sans doute, là plus qu’ailleurs, l’acte dépasse la pensée qu’on peut en avoir. Ça se constate dans la moindre interprétation quand elle porte, on en a le témoignage par le praticien, de ce qu’il s’éprouve alors, peu ou prou, comme dépassé. Et imprévoyant des effets. Si ça se pense, ça se pense après coup. Eh bien, il en va de même de penser la psychanalyse.
Penser l’expérience analytique, les phénomènes psychanalytiques, les événements psychanalytiques, ça suppose, ça exige un arrachement. Par rapport aux modes de pensée qui sont couramment en vigueur. Et, je ne reculerai pas à dire que ça demande une ascèse, proprement intellectuelle. C’est à ce titre que j’ai introduit la distinction de l’être et de l’existence, comme préalable à la position du réel.
Cette position du réel, je suis arrivé à la pointer de deux coordonnées, cueillis dans le dernier enseignement de Lacan :
- Le signifiant, et singulièrement le signifiant Un. Le Un, détaché du deux. Non pas le S1, attaché au S2, et prenant sens à partir de lui.
- Et puis, de ce terme où Lacan a épuisé les ressources de la langue française pour attraper quelque chose que Freud désignait comme la libido, à savoir la jouissance.
La connexion du Un et de la jouissance.
Nous en trouvons des précédents dans les traditions de pensée. Nous les trouvons évidemment du côté de l’Orient, j’ai désigné Spinoza [ éthique], et avant lui, les néo-platoniciens qui sont des exemples clairs du fil qui court à travers l’histoire de la pensée. Je suis toujours au bord de vous l’exposer plus précisément, mais ça, c’est de lectures que je m’appuie, et que je ne vous restitue pas, parce que ça serait trop loin de ce qui vous intéresse immédiatement.
la fixation comme connexion du Un et de la jouissance
Ce qui vous intéresse immédiatement, je le suppose, c’est que cette connexion du Un et de la jouissance est fondée dans l’expérience analytique. Et précisément dans ce que Freud appelait Fixierung, la fixation.
Pour lui, le refoulement, qu’il s’agit de lever par l’interprétation analytique, a sa racine dans la fixation. La Verdrängung, trouve son fondement dans ce qu’il appelle Fixierung. Et il l’a décrit ainsi, la fixation, comme un arrêt de la pulsion. Au lieu de connaître ce qu’il appelle un développement normal, une pulsion reste en arrière, subit une inhibition. Ce qu’il appelle « fixation », c’est très clairement – l’expression figure comme telle dans son texte – une fixation de pulsion, une fixation de la pulsion. Fixation à un certain point ou à une multiplicité de points du développement de la libido.
En effet, la notion d’un développement et d’un développement normal de ce qu’il appelle la libido, doit culminer jusqu’à une maturité qualifiée de génitale. De fait, pour connaître ce qu’il appelle développement, la libido migre, elle se déplace, et par rapport à ça, par rapport à ces déplacements, Freud croit pouvoir isoler, marquer, indiquer cette référence – à savoir, ce qu’il appelle un point de fixation. Bien, je dis que c’est précisément ce que Freud a ici repéré que nous formulons comme la conjonction du Un et de la Jouissance. Une conjonction qui fait précisément que la libido ne se laisse pas aller à l’avatar, à la métamorphose, au déplacement.
Ce que veut dire point de fixation, c’est qu’il y a un Un de jouissance qui revient toujours à la même place. Et c’est à ce titre que nous le qualifions de réel.
Il faut ajouter que chez Freud, la fixation n’est pas du tout au premier plan. Si on consulte l’index de ses concepts dans la Standard Edition, traduction anglaise de l’œuvre de Freud, on voit que la majeure partie des références se loge dans le volume 12 de cette édition qui couvre les années 1911-1913.
Je ne m’attache pas là aux détails que l’on pourrait étudier à la loupe. Je me contente de dire quelque chose qui a été repéré par Freud mais à quoi il n’a pas donné une extension conceptuelle conséquente. Et pour nous, mutatis mutandis, dans notre langage, ce dont il s’agit est au premier plan. Et pourquoi? Eh bien parce que l’analyse, dans la pratique, contemporaine, se prolonge au-delà du point freudien, au–delà du point où ça s’arrête pour Freud.
Alors, bien entendu, pour Freud ça ne s’arrête pas, mais ça s’arrête quand même. Et puis ça reprend, ça doit reprendre. D’où son titre, «Analyse finie et infinie », les deux à la fois. Il n’a pas dit « l’analyse infinie » – auquel cas il aurait été précurseur de Maurice Blanchot, auteur de « L’entretien infini » – , il a dit « fini et infinie ». Ce qui veut dire ça s’arrête, ça finit, et quand c’est fini, eh bien, ça recommence, ça doit recommencer. Un peu plus loin. On souffle.
Ça évoque quelque chose, pour rester dans le littéraire, ça évoque quelque chose comme « l’analyse toujours recommencée », pour parodier Valéry. Ça veut dire recommencer sur le même plan. Et ça s’arrête toujours au même point. Eh bien, à notre époque, et précisément parce que l’analyse n’est plus sous le régime des ????? mais elle se prolonge, l’analysant se trouve d’une façon qui est inconcevable et en tout cas insue par lui, l’analyse se prolonge jusqu’à ce que l’analysant soit au prise avec la fixation.
Lacan, comme vous le savez, son ambition, explicitement formulée, était celle de forcer la limite freudienne de l’analyse. D’aller au-delà de ce que Freud isolait comme les obstacles à la terminaison une fois pour toutes de l’analyse. Ces analyses tenant, de façon différenciée pour chacun, aux rapports des faits.
Et ce forçage lacanien des obstacles freudiens, c’est ce qui l’a animé dans son invention de la passe, et c’est aussi ce qu’il a prolongé dans son écriture logique de la position sexuelle distincte du mâle et de la femelle. Et c’est pour ça, une fois accompli cet effort, ce double effort, que Lacan a isolé une troisième forme. Ce qui se rencontre au-delà du point freudien.
Il a pensé obtenir ce forçage par la réduction du fantasme. C’est ce qu’il a mis en œuvre dans ce qu’il appelle la passe. Il a fait du fantasme, au singulier, le champ de bataille où pouvait se décider l’issue de l’analyse. Et, il l’a fait, en assignant au fantasme la place du réel. En disant, le réel, c’est LE fantasme. Ou au moins, le fantasme est à la place du réel, pour le sujet. Ça supposait bien sûr qu’il ait réduit la multiplicité des fantasmes au fantasme singulier – avec article défini. Alors que Freud, même s’il pouvait faire de tel fantasme un paradigme, par exemple « Un enfant est battu », il n’en faisait pas LE fantasme. C’est Lacan qui a inventé le fantasme au singulier, qu’il a qualifié une fois, et nous l’avons repris mille fois, de fondamental. Le fantasme fondamental. Mais tout ça pour obtenir un analogon du réel, sur lequel on peut penser que la parole a de l’effet.
Alors, il faut argumenter bien sûr.
Par exemple, il a argumenté en termes logiques. En disant que le « clavier logique », c’est son expression, Autres Écrits p. 326, que « le clavier logique désigne comme la place du réel, celle de l’axiome ».
En tant qu’un axiome reste constant, alors que les lois de déduction sont variables, et il a fait fonctionner le fantasme, si je puis dire, comme l’axiome des symptômes. Ce qui se retrouve à la même place dans les différents symptômes dont un sujet pâtit. Et étant entendu que le fantasme lui ne s’interprète pas, le fantasme fondamental ne s’interprète pas, mais qu’il sert d’instrument à l’interprétation. On interprète en fonction du fantasme à qui donc on fait jouer le rôle de réel. Et ce qui est ici important, c’est l’opposition entre la constante de l’axiome et la variabilité de le déduction. Le symptôme ne se défait pas toujours de la même façon. Les symptômes ne se défont pas de la même façon. Ils ne se rapportent pas à l’axiome de la même façon, mais l’axiome lui reste constant. Et, en quelque sorte, en assimilant ce qu’il a construit comme le fantasme fondamental à un axiome, à un axiome dans un système logique, il a traduit la fixité de l’Un de jouissance qu’avait repéré Freud, sous le mode de la constance de l’axiome.
Un axiome dont la formule générale, il l’a reprise de son ancienne écriture « Sbarré poinçon petit a ». Et il a montré que l’analyse permet d’obtenir une fracture de la formule. Ce qu’il a appelé d’un côté la chute de l’objet petit a et de l’autre côté on a parlé de la destitution du sujet, qui avait institué dans le cadre du fantasme, une destitution qui en définitive le libère de la constance de ??? sur l’objet petit a.
Et il a préparé ça, au fond il a préparé ce coup-là, en déplaçant de registre l’objet petit a. Cet objet petit a, il l’avait inventé, il l’avait repéré dans le registre imaginaire, et, pour les besoins de la cause, il l’a fait migrer dans le registre du réel. Il a surpris son auditoire un jour en disant « l’objet petit a est réel ». Ce qui permettait de dire, un peu plus tard, «il y a du réel dans le fantasme». Le fantasme dont jusqu’alors on avait bien repéré les affinités imaginaires, qu’on pouvait très bien admettre aussi participant du symbolique, sur le modèle du scénario, de la scène. Et Lacan s’en était très bien contenté, et d’ailleurs l’écriture même de ce dont il fera l’axiome le reflète :
- Sbarré, c’est dans le fantasme, le sujet de la parole, un terme symbolique,
- et petit a , un terme venu de l’imaginaire.
Donc, cette écriture, précisément, était faite pour montrer la conjugaison de termes hétérogènes appartenant à deux registres distincts. Et si à un moment Lacan s’efforce de souligner qu’en définitive l’objet petit a appartient à l’ordre du réel, c’est pour pouvoir dire « Il y a du réel dans le fantasme », et le fantasme est réel parce qu’il revient toujours à la même place.
Et qu’à cet égard, le sujet de la parole, qui est mobile, véhiculé sous la chaîne signifiante, de signifiant en signifiant, se trouve par l’objet a arrêté, en quelque sorte gelé, à cette place. Ce qui est réel dans le fantasme à cet égard, c’est petit a. Parce qu’il fixe le sujet. Et qu’il est, à cet égard, constant. Et Lacan pense obtenir l’équivalent de la fixation de réel, à ce qui est en jeu dans ce que Freud un moment a isolé à propos de la Fixierung.
Concédons à Lacan qu’il y a l’événement de passe.
C’est-à-dire qu’en effet l’expérience analytique permet d’obtenir la fracture que Lacan a décrite.
Mais, quel est son effet ?
Son effet, Lacan l’a rappelé d’une plume impeccable, l’effet de ce qu’il appelait la traversée du fantasme, c’est un effet sur le désir; tout cet appareil est fait pour la déflation du désir, que la poursuite d’une analyse permet d’obtenir. D’un désir gonflé, éventuellement chaotique d’apparence, qui se porte sur différents objets, qui se multiplient, qui se cachent, à un moment on obtient quelque chose qui a été repéré, un certain ratatinement, que traduit le mot anglais shrink, dont on désigne argotiquement le psychanalyste, comme réducteur de tête, un réducteur de désir.
Et, corrélativement, le sujet qui s’instituait à partir du fantasme qu’alimente le désir, se trouve en effet destitué, et ça peut passer pour une solution du désir. Et Lacan dit tout ça, au fond il n’y a rien à lui reprendre, c’est la solution d’un x, d’un x de l’x du désir, que le psychanalyste a pour fonction de présentifier à l’analysant, sous la forme célèbre du Che vuoi? « Que veux-tu? », emprunté au Diable amoureux de Cazotte.
Ce que Lacan appelle le désir du psychanalyste, c’est précisément l’énonciation de ce « Que veux-tu » – et ici notez bien, on en fera l’usage plus tard, que le nom du désir, c’est la volonté. La volonté qui vaut comme désir décidé. Ce désir que Freud appelle à la dernière phrase de l’Interprétation des rêves, le désir indestructible. Eh bien, ce désir indestructible, l’événement de passe exprime qu’il trouve une solution. Une solution de désir mais pas une solution de jouissance. C’est la solution de ce qui dans la jouissance fait sens. Et Lacan le sent si bien qu’après avoir dit que le fantasme tient la place du réel, il fait aussi du fantasme la fenêtre du sujet sur le réel. Autrement dit, il ne pense pas à une chute ou une réduction du réel, mais seulement à une réduction de cet analogon du réel que serait le fantasme et dans le fantasme l’objet a.
Alors, la chute de l’objet petit a, c’est exactement une chute dans le hors sens. Il n’y a plus d’objet a. En tant que l’objet petit a fait sens. Et pourquoi Lacan avait été conduit à formuler, une fois, que l’objet petit a est un effet de sens réel ? Il a qualifié un effet de sens de réel; par un certaine discontinuité, par l’hétérogénéité de ces termes, ça traduit toute la difficulté de ramener le registre du réel au sens.
Alors l’expérience contemporaine qui se fait aujourd’hui, en ce moment, ne connait pas le Stop and Go prescrit par Freud dans « Analyse finie et infinie ». Bien sûr, il y a des tranches, mais dans la règle, l’expérience analytique se prolonge, d’une façon qui était tout à fait inconnue, impraticable, impratiquée du temps de Freud. Et, notre expérience met désormais l’analysant aux prises avec ce qui de la jouissance ne fait pas sens, avec ce qui reste au-delà de la chute de l’objet petit a. Elle le met avec prise avec l’Un de jouissance.
Ce que Freud avait découvert comme la répétition, Lacan avait commencé par en rendre compte dans l’ordre symbolique, il y a même vu l’occasion de fonder son concept de l’ordre symbolique. Et, ça lui avait ouvert la voie vers l’invention de ce qu’il a appelé la chaine signifiante. Mais une chaine signifiant dont il soulignait le caractère mathématique et formel, précisément si l’on peut dire sans contenu, sans autre contenu qu’un sujet qui se véhicule comme un zéro sous la fuite des nombres.
Évidemment, ça change du tout au tout quand à la répétition on donne un contenu de jouissance. Si c’est d’elle qu’il est question dans la répétition, alors le terme même de chaine est inapproprié, parce qu’il ne s’agit plus d’une succession qui se compte et s’additionne – je l’ai évoqué la dernière fois-, il s’agit d’une réitération. C’est ça qu’on peut appeler la pure répétition, la réitération du Un de jouissance, pour laquelle on a aujourd’hui dû inventer, promouvoir le terme d’addiction. Le terme de chaîne est alors, dis-je, inapproprié, et c’est au niveau de la chaîne qu’on parle de loi. Lacan avait mis en valeur, précisément, les lois de la chaine signifiante, les alpha, bêta, gamma, delta étaient fait pour manifester comment d’une simple succession de + et de – , on obtenait des lois complètes, qui semblaient même être des lois du hasard. Au niveau de la réitération nous n’avons plus de loi. Et c’est à ce niveau-là que Lacan formule « le réel est sans loi ». Il est sans loi à la différence de la chaine signifiante, ce qui ne eut pas dire qu’il est sans cause. Loi et cause sont des termes différents. Et, c’est précisément dans l’achoppement de la loi que la cause s’inscrit. Ici le réel a une cause qui est précisément la conjonction de l’Un et de la jouissance.
dialectique, rien, non-être, manque-à-être (et au-delà)
Ce pourquoi alors on voit dans le discours de Lacan s’effacer le mot de dialectique.
La dialectique au fond, ça pouvait être la traduction de ce que Freud appelait le développement de la pulsion (???). La dialectique, elle se tient au niveau l’être. Et, il faut dire qu’alors, elle est éminemment flexible. Dès qu’on dit que quelque chose est A, voilà le B qui s’avance. Pour qu’on obtienne que ce quelque chose n’est pas B, et voilà que le non-être suit l’être comme son ombre, et qu’ils commencent un ballet effréné, un véritable carnaval de lettres, qui donnait le tournis aux Grecs eux mêmes. C’est bien pourquoi chez les Grecs eux-mêmes, qui avaient beaucoup donné dans cette dialectique de l’être, on a vu se produire un appel à l’au-delà de l’être, pour arrêter le tournis.
C’est à quoi répond, – c’est là que c’est enseignant, – cette extraordinaire poussée de l’hénologie, pour sortir du vertige de l’ontologie. Ça pouvait s’expliquer que Plotin, et à sa suite toute une École, se soit engouffré dans le discours sur l’Un, y impliquant une véritable ascèse – Plotin, il n’en dormait plus, il n’en mangeait plus, et dans sa tête il tenait son traité, paraît-il, avant de l’écrire. On ne peut expliquer cette passion que par l’authenticité d’un appel à un au-delà de l’être, et qui est ce que nous nous appelons le réel.
Au niveau de la dialectique le dernier mot – enfin c’est celui que Lacan propose, a proposé dans les débuts de son enseignement – , le dernier mot c’est « le rien ».
Au niveau de la dialectique le dernier mot, c’est le non-être ou le manque-à-être, et c’est ce que traduit l’image sur laquelle Lacan clôt son écrit de « La direction de la cure » – qui marque le moment où il rassemble son appareil à penser l’expérience analytique et à en réoriente la pratique. Eh bien, cette image déjà évoquée, c’est celle du Saint Jean de Léonard de Vinci, le doigt levé pour indiquer ce que Lacan appelle « l’horizon deshabité de l’être ».
Et il dit, au fond, toute interprétation analytique consiste à refaire ce geste, et ce geste qui pointe vers le rien dont il trouve la référence, et c’est là-dessus qu’il clôt cet écrit, dont il trouve la référence chez Freud, dans le titre de son dernier écrit inachevé sur l’Ichspaltung, le clivage du moi a-t-on traduit, et c’est sur le mot Spaltung que Lacan termine cet écrit.
Spaltung, c’est la faille, le manque et disons c’est le dernier mot de la dialectique, si on s’en tient à elle, c’est la faille de l’être. Et faut dire que c’est au prix d’une lecture singulièrement limitée de l’écrit de Freud en question. C’est certainement un des écrits de Freud qui pointe le réel précisément comme cause de la Spaltung du désir. Mais laissons ça.
Donc, le dernier mot de l’expérience analytique pour le Lacan des 5, 6 premiers séminaires, c’est que l’expérience analytique se conclut, a à se conclure sur une certaine une assomption du manque et dans un horizon que l’être a fui.
Au niveau de la passe, on s’est décale d’un cran, le dernier mot, ça n’est pas seulement Sbarré où se retrouve la Spaltung, l’indication c’est plutôt le petit a, l’objet métonymique qui vaut comme marqueur de jouissance. Et Lacan ne dit plus alors que l’interprétation vise le manque, le manque à être du sujet, à cette date il dit au contraire que l’interprétation vise l’objet petit a, c’est-à-dire cet index mobile de la jouissance dans la parole.
sinthome, pur événement de corps , en-deçà du refoulé et au-delà de la passe
Troisièmement, non plus le rien, non plus le petit a, mais la pure réitération de l’Un de jouissance, que Lacan appelle sinthome, par différence avec le symptôme qui lui s’arrête au sens. C’est par là que Freud avait fait novation bien sûr, il avait fait novation par la sémantique des symptômes, mais au-delà de la passe, on découvre un au-delà de la sémantique et du symptôme – c’est-à-dire une pure réitération dans le réel de l’Un de jouissance.
Et, c’est bien pourquoi on ne peut pas alors se contenter de parler de sujet – ce qui veut dire que l’expérience analytique est au niveau de la parole -, on est obligé de mettre le corps dans le coup, et c’est pourquoi Lacan parle alors de parlêtre, c’est-à-dire un être qui ne tient son être que de la parole. C’est un être évidemment fragile, contestable, dont rien ne dit a priori qu’il ait un répondant de réel.
Et le corps dont il s’agit, remarquez bien que Lacan l’introduit non pas comme un corps qui jouit, le corps qui jouit c’est pour le porno, si je puis dire, là, nous sommes dans le Freudo, et il s’agit du corps en tant qu’il se jouit, c’est-à-dire, que c’est la traduction lacanienne de ce que Freud appelle l’auto- érotisme. Et, le dit de Lacan, « il n’y pas de rapport sexuel », ne fait que répercuter ce primat de l’auto-érotisme.
Le sinthome est défini comme un événement de corps, qui évidemment donne lieu à du sens – à partir de cet événement une sémantique de symptômes se développe -, mais, à la racine des symptômes freudiens qui parlent si bien et qui se déchiffrent dans l’analyse, qui font sens, à la racine de cette sémantique, il y a un pur événement de corps.
Alors, rien de ce que j’évoque n’invalide ce que Lacan appelait la passe, je note simplement une certaine vacillation dans la localisation du réel en jeu, alors. La tentative de réduire le réel à l’axiome du fantasme et la place ménagée d’un réel qui s’en distingue. Rien n’invalide cette passe, si on la considère comme une dénivellation qui se produit dans le cours d’une analyse et à partir de laquelle l’expérience analytique ouvre sur un en-deçà du refoulé, c’est-à-dire précisément là où Freud situait la fixation, la fixation de libido, la fixation de la pulsion comme racine du refoulé.
J’appelle désormais la passe le moment où se dénude cette racine du refoulé. Et dans cet espace tout reste à construire, c’est une simple constatation que rien n’opère plus comme avant, et en particulier aux prises avec le sinthome, l’interprétation révèle une certaine vanité. C’est à construire, mais Lacan trace des voies.
« Il n’y a pas de rapport sexuel », « Il y a de l’un » et auto-jouissance du corps
Quand il dit « Il n’y a pas de rapport sexuel« , cela dit est au niveau du réel, pas au niveau de l’être, au niveau de l’être, il y a du rapport sexuel, en veux-tu en voilà. Ce dit existe au niveau du réel et formule que l’inexistence du rapport sexuel ce n’est pas un refoulement. De la même façon, son dit préalable « Il y a de l’un », est corrélatif de « Il n’y a pas de rapport sexuel ». On pourrait même dire que est en jeu ici le rapport de l’un et de la dyade, sur quoi, dit-on, se resserrait l’enseignement oral de Platon. Platon n’a pas tout écrit de ce qu’il enseignait, il y a donc, depuis lors, des rumeurs dans l’histoire de la philosophie que Platon disait un peu autre chose à côté à ces élèves, il resserrait son discours précisément sur le rapport de l’un et de la dyade, et, d’une certaine façon, Lacan s’inscrit dans la suite de ce qu’on dit de cet enseignement oral.
Alors, « Il y a de l’un », est un dit corrélatif de « Il n’y a pas de rapport sexuel ». Il y a de l’un au niveau du réel. C’est dit sur l’Un au niveau du réel.
Notez bien que Lacan n’a pas formulé « L’Un est, » parce que on sait ou ça mène… Si on emploie l’Un absolument, ça appelle aussitôt (des exactions) des mélanges, et si on fait du verbe être une copule, alors il faut dire ce qu’il est. « Yad’lun » pose l’Un comme absolu et dans cet effort qui fait souffle d’un Plotin dont j’apporterai peut-être la prochaine fois un écrit qui m’a spécialement distrait cette semaine.
Notez bien que Lacan ne dit pas «Il y a le sujet », il n’y a pas de « Il y a le sujet », et surtout un sujet qu’on a préalablement ou simultanément barré.
Le sujet, le sujet de l’inconscient, c’est un hyptohèse, et Lacan lui garde ce statut, c’est une hypothèse qu’on fait sur l’Un comme réel, lorsqu’on invente de l’enchaîner à un autre. C’est une hypothèse. Disons que dans l’analyse on lui donne valeur de réponse réelle, mais c’est seulement relatif à l’analyse. Et, c’est ainsi que Lacan de l’inconscient aussi il ne recule pas à faire un être, ou un vouloir- être ou un manque-à-être relatifs à l’analyse. Et de même, à propos du sujet supposé savoir. Il ne leur donne pas de statut au niveau du réel, ce sont des termes qui dépendent de l’appareil d’un discours.
En revanche, « Il n’y a pas de rapport sexuel » et « Il y a de l’un », même découverts à partir de la pensée de l’expérience analytique, nous leur donnons une valeur au niveau du réel. Et il y a troisièmement encore, une position corrélative qui est l’auto-jouissance du corps, auto-jouissance du corps qui est à la fois articulée au « Yad’lun » et à « Il n’y a pas de rapport sexuel ». En quelque sorte, ces trois formules ont à se dire ensemble.
Alors, au fond, ça donne une direction à une cure analytique.
Il y a d’abord ce qu’on appelle l’entretien préliminaire, le temps de l’entretien préliminaire qui doit être plus ou moins prolongé, où traditionnellement l’analyste avait à jauger de la capacité de celui qui se présente à faire une analyse et la probalité qu’une analyse lui fasse du bien. La capacité à évaluer c’était avant tout quelque chose dans son rapport au sens. J’avais déjà naguère constaté que aujourd’hui refuser à quelqu’un une analyse n’avait plus du temps le même sens d’avant et n’était pas du tout susceptible du même type d’évaluation parce que au fond l’analyse et les thérapies qui en dérivent apparaissaient aujourd’hui comme du registre des droits de l’homme. (Mais en fait, on voit bien que ce que cette constatation que je faisais (habillait)).
En effet, après (cette constatation ) on peut dire que il y a cette période, la période merveilleuse qui a été isolée par les analystes, les Américains parlant de « lune de miel » de l’analyse.
Et, il y a la période ensuite disons jusqu’à la fin qui marque une résolution du désir par sa déflation.
Mais, il y a , et c’est là que Lacan s’est le premier avancé, un au-delà de la passe dans l’analyse, un au-delà de la passe, et cette zone encore mal connue, encore mal pensée – elle est connue, elle est expérimentée, mais elle est insuffisamment pensée. Lacan sans doute a essayé de l’appareiller avec le nœud borroméen, où remarquez-le les catégories en jeu sont le réel, le symbolique et l’imaginaire, et pas du tout, comme tels et en premier lieu, l’inconscient et les concepts freudiens.
Ici, on se tient, on essaie de se tenir au niveau du réel, et non au niveau des hypothèses comme celle du sujet supposé savoir, c’est-à-dire l’inconscient dans le statut que Freud lui donnait, à savoir l’inconscient se déduit. Autrement dit, pour que l’inconscient vaille, il faut la logique.
Et nous ne situons pas l’inconscient au niveau du réel, ce qui fait que quand la racine du refoulement est dénudée, on peut dire que l’inconscient est de peu de ressource. L’inconscient, et l’interprétation qui est de même niveau.
Donc, il y a ici à forger du nouveau, et c’est à quoi nous nous efforcerons dans la suite
A la semaine prochaine.
cher JAM ,
le « y a d’un » n’est- ce pas in fine le 1 comptable de la seconde identification freudienne , le tait unaire , le S1 du sujet divisé entre les signifiants que Lacan avait déplié dans son séminaire sur l’identification de 1962 et qu’il repositionne dans la structure topologique du sujet dans le séminaire XX en rapport à la question de l’être , spécialement l’être sexué ?