Il a fallu que je fasse une
liste des choses que je désirais. Celle que l’on me réclame d’ailleurs depuis des années. Des années et des années. Quand je le dis, que les choses se font lentement, voire même sans qu’on y prenne garde.
Une liste de cadeaux. Plusieurs même, de listes. Une par donneur, une seule par donneur, mais tout de même plusieurs, de donneurs. Je ne dis pas comment ça a été difficile. Ou comment cette année, après toutes ces années, j’y suis arrivée. De cela seulement je devrais me réjouir, à quoi je me trouverais seule, car comment le communiquer, cela, cette joie qui pourrait, qui devrait me venir de l’avoir fait, cette chose. L’avoir fait, l’avoir dit, que je les voulais, que j’aurais pu les vouloir, ces menues choses qu’il m’aura fallu inscrire sur une liste. Qu’il aura fallu inscrire sur plusieurs listes. Listes qu’il aura fallu distribuer.
Par où je m’exposais à une possible satisfaction dont la seule évocation me paraît injure. La vulgarité plus que frôlée. L’abaissement. Croyez-vous vraiment que ça puisse le faire, dans les salons, cette sorte d’aveu ? Et faudrait-il qu’à ce non-échec, encore je doive ajouter la réjouissance que j’y trouverais, l’augmentant d’autant. Ce serait exagération, ajoutée à l’exagération. Que je me dépasse, passe encore. Que j’en augmente la satisfaction qu’il conviendrait que j’y trouve, en m’en vantant auprès de moi-même d’abord et des autres ensuite, c’est là trop. C’est là abus.
Fracassement de la perte. Remercions donc le ciel pour la jouissance qu’il aura bien voulu nous conserver comme il nous laissait seules, mes tristes pensées, moi-même, à méditer ces dépassements où nous nous engagions, quand nous nous soumettions à nos obligations et notions sur de
vagues papiers d’hélas très précis items dont nous reconnaissions dès lors qu’ils pussent pour nous constituer quelques fruits de la tentation que nous eussions préféré garder aussi secrète qu’insatisfaite. Que de cette insatiable insatisfaction au moins la jouissance restât incommunicable, sa perte gardée sous silence. Cette perte dont j’ai souffert, dont possiblement je souffre encore, souffrance que par ailleurs je n’aurai, elle, manqué de partager avec mes plus proches amis,
en vérité, en vérité, il n’en est qu’un, d’ami, de très proche, le seul, celui dont toute satisfaction est attendue mais aucune voulue, toute désirée, mais aucune voulue, l’élu, la perte donc dont je souffris, où je ne restai pas seule, puisque dans ma désolation j’y entraînai cet unique donc qui dût me laisser inconsolable et
que mon doigt pusse vengeur resté dressé sur lui, la perte donc où je tombais de par ces petits faits, par moi ici rapportés, mais qui en d’autres lieux ne sauraient trouver à être articulés, entendus, si tant est qu’ils le fussent, ici, ce dont, dans la négative, nous ne saurions être sans remercier le ciel, une fois de plus.
Eh quoi, quelle perte donc à gagner dans ces cadeaux tantôt offerts ? Celle dont, et grâce de plus, la troisième, fût rendue au ciel, il me reste encore à souffrir silencieusement, secrètement, dont je n’achèverai pas le sacrifice. Je laisse l’agneau pantelant, l’un ou l’autre peut-être de ses membres défaits. Je me garde maîtresse cruelle. Je conserve soigneusement les regrets de ne m’être pas montrée plus brave, plus forte, plus allègre. Plus normale. A observer le compte tenu des 3 trois grâces ici rendues, me vient la fantaisie de les parrainer d’un unique adage :
grand grand grand est pour moi l’or du silence. Tandis que les choses demandées, il aura fallu les recevoir, si ça, n’est pas le pire. Et alors, dire merci. S’il vous plaît, merci, vous me voyez comblée, c’est exactement ce dont je manquais, quel bonheur, quel amour. (
Demandez et vous recevrez, qu’il disait, bien oui, c’est bien pour ça que de toujours je m’en abstiens. Chers amis, tiendriez-vous à cet état, d’amis, je vous saurais gré de bien vouloir me laisser insatisfaite. Pour cela, je vous remercie par avance.)
Je mets cette petite note dans la catégorie « l’a-volée », où elle peut trouver sa place (Non. Non, non, il ne sera pas dit qu’elle aura reçu, mais volée, oui, oh ça oui, elle l’aura été et convenablement qui plus est.) La catégorie qui plus exactement, précisément lui aurait convenu, à cette note, aurait été celle de L’impossible don (or elle n’existe pas, à moins que ça ne soit moi qui répugne à démultiplier les catégories, d’autant que rien n’indique que j’en fasse jamais le moindre usage, bon usage, convenable usage, de ces multiples catégories).
Le don impossible, celui auquel il conviendrait de renoncer d’attendre. Je ne te dis pas que ça ne fait pas très longtemps que je ne le trace celui-là , que je l’avais repéré. A croire que ça n’y suffit pas. Le repérage.
Non, mon ami, non, tout de même, je n’en suis pas encore au point, au point de me réjouir, de ce que tous ces cadeaux m’aient été faits. Là c’est à moi que trop serait demander (et c’est bien pourquoi ici, je viens m’en plaindre, que la perte ne soit pas sèche).
NB : Je ne le voulais pas, mettre en corrélation l’impossible don et l’insatisfaction. Ca me sera venu sous la plume sans que je m’en méfie ; il est possible cependant que l’une chose ait à voir avec l’autre.