Ce n’était pas ici que mon cours de cette année a atteint, je crois son but, (« On n’entend pas, on n’entend pas, on n’entend rien ») sa cible, son sommet ( – voilà, je vous donne 3 mots comme ça si vous en perdez un, ce n’est pas trop grave). Ce n’était pas ici, mais lors d’une journée d’étude – à laquelle vous n’avez pas été conviés, je m’en excuse – qui réunissait comme chaque année ceux qui ont une charge d’enseignement dans les sections cliniques – celles de France auxquelles s’ajoute la section de Bruxelles. Cette journée regroupe donc un aréopage de quelque 200 enseignants et un petit nombre d’étudiants qui sont aussi conviés [i].
Ce weekend, cela se passait à Montpellier et je ne peux pas le passer sous silence, non pas pour vous désespérer, mais parce que non seulement cette journées, ces 2 demi-journées, ont été l’occasion pour moi de vérifier que j’étais entendu, par beaucoup de monde qui n’est pas ici, que j’étais compris, et que mon cours de cette année avait, si je puis dire, résonné pour les collègues, praticiens en même temps qu’enseignants, qui se dévouent à animer ce qui doit bien faire 25 ou 26 établissements à travers le pays.
Mais aussi, ce fut le moment où pour moi s’est noué le point de capiton de ce cours.
Je dois dire que dans ces journées je ne suis pas du tout le seul à travailler, puisque ces journées se sont déroulées à partir d’un écrit de 15 contributions brèves, 2, maximum 3 pages, de 15 psychanalystes auxquels j’avais proposé à chacun une proposition, une phrase extraite du séminaire XIII de Lacan, Le sinthome, et je m’étais efforcé d’assigner à chacun le travail qu’il me semblait, les connaissant, le plus apte à les stimuler et le résultat est là (désigne sur la table, une grosse quantité de feuilles), et la lecture des textes se fait à l’avance. Il est aujourd’hui aisé d’envoyer cette quantité de signifiants par un message électronique, ce qui fait que sur place on converse. Et on a conversé autour de 3 tables rondes, plus une laissée à l’improvisation. Donc loin d’être tout seul, solitaire à cette tribune comme je suis ici, et comme on même dit austère, eh bien dans ce cadre-là, je m’en donne à corps joie. Faut dire que pour ma part je ne me suis exprimé que dans un style de rigolade qui a été communicatif, ce qui fait que on s’est bien amusés ça m’a fait d’ailleurs regretter le format d’expression auquel je suis ici condamné, c’est le mot qui me vient, et j’aimerais bien que ça change, j’aimerais peut-être même bien que ça change avant la fin de l’année. Il y a dans l’échange dans la conversation pour moi une stimulation, de l’invention ex-tempore, qui évidemment ici me fait défaut, et c’est là que le signifiant et le signifié se sont rejoints dans ce qui m’a paru être le point de capiton de ce cours.
Point de capiton
Point de capiton, c’est une notion que rend nécessaire le décalage du signifiant et du signifié.
Au fur et à mesure que se déroule une chaine signifiante qui est en l’occurrence une chaine sonore, il se forme une nébuleuse de significations jusqu’à ce qu’à un moment le signifié vienne s’ordonner, du moins on l’espère, et semble rejoindre en quelque sorte la suite signifiante et révéler ce que ça veut dire – on a évidemment des degrés dans le « ce que ça veut dire ».
On peut comprendre une signification sans avoir du tout la notion de pourquoi cela a été dit et où est-ce que cela mène, et puis ce moment de capitonnage se produit avec chaque mot, chaque proposition, chaque phrase, chaque paragraphe, au bout de l’heure du cours, et puis aussi, ensuite on espère qu’il se produise pour l’ensemble de ce qui a été dit sous le même chef, et cet ensemble peut encore s’élargir, jusqu’à se demander, comme il arrive parfois de me poser la question, ce que ça veut dire l’effort que je poursuis ici depuis de nombreuses années.
Autrement dit, le point de capiton, notion nécessaire vu le décalage signifiant/signifié pour situer, ou s’imaginer situer, l’intention, l’intention de signification qui semble avoir été à l’origine du discours, l’intention qui aurait mobilisé le signifiant.
Enfin, pour l’auditeur, c’est après-coup, une fois que c’est dit, qu’il peut imaginer accéder à cette intention.
Mais, imaginez que ça puisse ne pas être moins vrai pour le locuteur lui-même.Est-il très sûr de ce qu’il veut dire avant de l’avoir dit ? Et l’intention perçue après coup, par lui-même, peut être assez distincte de la nébuleuse d’intentions qui présidait à sa prise de paroles.
Vous savez comment Lacan a représenté cette fonction du point de capiton par un schéma dynamique qui place sur un vecteur qu’on peut dire chronologique la suite signifiante, et qui fait intervenir un second vecteur recroisant le premier en deux points, et allant en sens inverse, celui du signifié qui attend que soit déjà atteint une certaine longueur sur le vecteur signifiant pour s’effectuer et disons lui n’est pas chronologique, il est plutôt instantané.
Le point de capiton, c’est un instant, un instant de voir ou de saisir le signifiant qui compte, et cet instant de voir ou de saisir se collabant immédiatement avec le moment de comprendre, ce qui incite Lacan à situer ici l’ensemble signifiant grand A, c’est l’ensemble des signifiants, et à placer, en après-coup, là où je situais l’intention, le signifié de cet ensemble de signifiants.
Vous savez que c’est de cette cellule minimale, que Lacan a utilisé à l’occasion pour représenter la métaphore, un signifiant effectuant un effet positif de signifié, marqué par un plus entre parenthèse, (+), dans cette formule. C’est aussi de cette cellule qu’il a fait la matrice de son graphe dit du désir où pendant plusieurs années il a repéré à la fois la théorie et la pratique de la psychanalyse.
Eh bien, à Montpellier et au moins pour l’ensemble de ce que j’ai voulu dire jusqu’à présent, Montpellier a fonctionné, en avais-je l’intention ou pas, sans doute que je l’avais, puisque c’est moi qui ait choisi ça, il y a déjà longtemps, peut-être que je ne savais pas encore exactement dans quel contexte cela s’insérerait, en tout cas ça a fonctionné comme un point de capiton pour l’ensemble de ce que j’ai dit cette année, et il faut donc que je vous en communique quelque chose, au moins, les fondements.
Parce qu’ici on ne rigole pas, c’est un fait, quand on compare avec le weekend, mais c’est tout de même ce que je fais ici, dans un style plus laborieux, qui permet aux feux d’artifices de mes amis et moi-même de partir là pendant un petit moment.
Tripartition de consistances cliniques
- séminaire 19 « … ou pire » (1971-1972)
- séminaire 20 Encore (1972-1973)
- séminaire 21 Les non-dupent errent (1973-1974)
- séminaire 22 RSI (1974-1975)
- séminaire 23 Le sinthome (1975-1976)
- séminaire 24 L’insu que sait de l’une bévue s’aile a mourre 1976-1977
- séminaire 25 Le moment de conclure 1977-1978
- séminaire nœud 26 La topologie et le temps 1978-1979
- séminaire nœud 27 Dissolution 1980-1981
Eh bien, je vais en énoncer une autre de tripartition, si je veux inscrire le sinthome comme un point d’arrivée de la clinique de Lacan (je l’ai déjà identifié à ce titre).
Une fois que Lacan a émis son « Y a de l’Un », qu’il a réduit le symbolique à l’Un, qu’il a renié décidément l’ontologie pour la logique et à cause de la logique, dans son séminaire « Ou pire », il poursuit dans le célèbre séminaire Encore, et c’est avec le séminaire XIII (Le sinthome) que nous avons la formulation du terme autour duquel tourne sa dernière clinique.
Des 2 derniers séminaires de Lacan, le 24 et le 25 (« L’insu que sait de l’une bévue s’aile a mourre » et « Le moment de conclure »), son tout dernier enseignement (TDE) que j’ai épelé devant vous jadis, il ne se dégage pas une conséquence clinique aussi opératoire que celle du sinthome.
Donc, le sinthome c’est le terme clé et au fond pas tellement glosé par Lacan, c’est le terme clé de la clinique, à laquelle il a abouti et de celle qu’il a pu transmettre.
Et puis dans les deux derniers qui sont hors de la série, qui viennent après le Séminaire XXV, intitulé « Le moment de conclure », il était aux prises directement avec son architecture des nœuds. Je suis loin de négliger tout cela, tout au contraire, mais du point de vue clinique tout de même, c’est avec la consistance du sinthome que nous nous trouvons avoir un savoir-faire – à voir ce que nous en développons.
*
Alors qu’est-ce qui vient, qu’est-ce qui occupe la même place avant ? Qu’est-ce qui occupe dans l’enseignement de Lacan la même place de consistance clinique sur laquelle l’analyste repère son opération ?
Eh bien avant le sinthome, nous avons ce fantasme dont la traversée est supposée être, faire exister la conclusion de l’analyse, que j’ai même prise comme programmée, recherchée par Lacan de nombreuses années avant qu’il l’ait délivrée.
Et encore avant, parce qu’il y a un avant, c’est n’est pas venu d’emblée, ce premier temps de la consistance du fantasme, nous avons un ensemble, une classe de consistances cliniques que Lacan a baptisé les formations de l’inconscient et à quoi d’ailleurs il a consacré un séminaire qui porte ce titre, au cours duquel il précisément élaboré, commencé d’élaborer son graphe du désir, dont je rappelais tout à l’heure le premier étage ou la cellule matricielle.
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Et donc si l’on prend l’enseignement de Lacan à partir de « Fonction et champ de la parole et du langage », au moment où lui-même date son enseignement, ses 6 premiers séminaires indiquent à l’analyste que son opération vise, porte sur les formations de l’inconscient.
Et c’est ensuite que progressivement, il en vient à centrer la conclusion de l’analyse sur le fantasme.
Et ensuite, la seule consistante nouvelle que nous voyons apparaître, c’est celle du sinthome.
- formations de l’inconscient
- fantasme
- sinthome
Evidemment, c’est construction de ma part, il y a bien d’autres façons de scander l’enseignement de Lacan que ce que je dis, et moi-même j’en essayé un grand nombre, mais si je peux accréditer ce terme de « consistance clinique », alors, je convie à cette répartition.
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Alors, allons vite, les formations de l’inconscient.
La plus glorieuse, celle à laquelle Freud s’est d’abord consacré, par laquelle il a forcé une porte de l’inconscient, c’est le rêve.
Et ensuite, c’est le lapsus, l’acte maqué, le mot d’esprit dans ses rapports avec l’inconscient, comme il l’a écrit.
Et Lacan dans son enseignement a répété cette chronologie de Freud, c’est-à-dire que « Fonction et champ de la parole et du langage », au fond c’est une reprise à l’endroit, pas à l’envers comme il l’a évoqué, c’est une reprise à l’endroit des premiers ouvrages de Freud (bon, c’est à l’envers parce qu’il met en valeur qu’il s’agit essentiellement du champ du langage).
Alors, ce sont des consistances qui sont à déchiffrer, dans lesquelles une vérité est supposée être chiffrée, où une vérité est supposée présente mais dissimulée, qu’on appelle « refoulée ». Bien sûr on tente d’expliquer les raisons de ce refoulement. Et cette vérité se laisse traduire. Et, lorsqu’elle est traduite, révélée et traduite, elle apparaît être celle du désir. Au moins, Lacan la simplifie dans les termes du désir. Et c’est là que s’exerce par excellence l’interprétation.
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Je ne rappelle cela que pour mémoire, c’est pour déjà souligner que ce que nous appelons avec Lacan le fantasme, quand nous lui donnons cette part cruciale dans la conclusion de l’analyse, que le fantasme, je le souligne, n’est pas une formation de l’inconscient. Dans la mesure où le fantasme implique aussi ce que Freud a nommé le ça.
Alors en parlant de l’inconscient et en parlant du ça, nous faisons appel à deux moments éloignés dans le temps de la construction de Freud. L’inconscient appartient à la première topique – la topique distinguait l’inconscient, le préconscient et le conscient -, tandis que le ça appartient à la tripartition du Moi, du Ça et du Surmoi. Mais, c’est justement le propre de l’enseignement de Lacan que d’avoir combiné des termes qui appartiennent à des moments distincts de la construction freudienne
Et le fantasme tel qu’il l’a formé, l’a repéré, c’est à la fois une formation de l’inconscient et une production du ça. Il ne répond pas au même régime que les formations de l’inconscient proprement dites et c’est bien pourquoi ce fantasme, Lacan l’a produit dans un séminaire qu’il appelait « La logique du fantasme ». C’est-à-dire qu’il a inventé un régime propre pour cette néo-formation qui est aussi une production du ça.
Et le régime propre à cette consistance clinique il l’a appelée logique, terme nouveau, une apparition dans le champ clinique, et qui reviendra ensuite s’agissant du sinthome. Autrement à cette occasion déjà le terme de logique fait son apparition, en même temps le ça vient compléter ce qui était purement et simplement de l’ordre de l’inconscient.
Et, cette logique du fantasme telle que Lacan la présente, on peut en suivre tout le détail, ça m’est arrivé, et là je me contente de dire qu’elle est faite de disjonctions et de conjonctions de l’inconscient et du ça. Et complété du ça, le fantasme, à la différence des formations de l’inconscient, n’est pas seulement question de vérité et de désir, mais aussi de pulsion et de jouissance. Et c’est un fait que pulsion et jouissance dans l’abord pur des formations de l’inconscient sont des termes sinon totalement absents du moins extrêmement minorés.
Donc, singulièrement, nous avons dans la consistance clinique du fantasme cette paire pulsion/jouissance qui vient en parallèle à la paire vérité/désir.
Vérité/désir vont ensemble et même sont faits du même bois puisque les 2 sont traités comme des effets de signifiants, et quel effet de signifiant? eh bien l’effet de signifiant qui s’appelle le signifié. Au fond, désir et vérité sont des modalités du signifié. Alors que la jouissance est très indifférente à la vérité, elle est tient au corps, elle est chevillée au corps. Au point que Lacan en viendra à définir le corps par la jouissance, et plus précisément, comme je l’ai accentué cette année, sa jouissance, qu’on appelle traditionnellement dans le freudisme « l’auto-érotisme ».
Ne croyez pas qu’il suffit de dire ça, puisque Lacan a étendu ce caractère auto-érotique, en toute rigueur, à la pulsion elle-même, dans sa définition lacanienne, la pulsion est auto-érotique.
Le dire c’est déjà suspendre tout ce qui avait pu être articulé d’aventureux à propos de l’objet de la pulsion.
Si objet de la pulsion il y a, il est resituer à partir de l’auto-érotisme de la pulsion que Lacan a mis en valeur simplement dans la formule tirée de Freud que la pulsion orale « c’est la bouche qui s’embrasse elle-même », mais qu’il a mis en scène avec son schéma qui figure dans le séminaire XI de la pulsion comme faisant un aller-retour.
Alors, chez les lacaniens on a tellement fait crédit à Lacan qu’on a répété son schéma sans percevoir que ce schéma comportait précisément l’auto-érotisme de pulsion. Et c’est pourquoi Lacan peut dire qu’ici l’objet ça n’est que le moyen de la voie de retour de la pulsion sur elle-même.
Et donc c’est ici essentiellement une place vide qui peut être occupée par des objets divers, voire ce que Freud appelait l’ersatz. L’objet c’est ici seulement le piquet, le moment où la pulsion fait demi-tour. Et c’est une représentation de ce que Lacan énoncera plus tard […] que le corps se jouit, impliquant une réflexivité de la jouissance.
Alors, ce jalon est évidemment essentiel pour bien distinguer dans la pratique, dans l’ordonnancement de la pratique, le désir et la pulsion.
Le désir, c’est le désir de l’Autre, voilà une formulation que Lacan a donnée d’emblée, qu’il a eue très spécialement par le cas de l’hystérique, par sa structure, mais qui appartient essentiellement à la définition du désir. Vous impliquez le désir quand vous mettez en évidence une relation essentielle avec une instance d’altérité, avec un partenaire, avec un autre sujet de la parole. Donc la liaison du désir et de l’Autre est une liaison essentielle – quelles que soient les configurations précises que cette liaison peut prendre dans les différentes structures.
En revanche la pulsion, c’est la pulsion de l’Un, et au niveau de la pulsion, l’instance de l’Autre, n’a pas du tout la présence, l’instance qu’elle a dans le désir. Et c’est bien ainsi qu’on l’entend – la pulsion que Lacan disait acéphale : faut dire aussi que là ce n’est pas seulement l’Autre qui n’y est pas mais le sujet de la parole lui-même.
Sur le vecteur de la pulsion on ne s’aperçoit pas forcément que l’Autre n’est pas d’accord. Ça peut avoir des conséquences… tragiques. Ce n’est pas la même chose d’être un homme de désir ou un homme de pulsion. La pulsion, c’est la pulsion de l’Un et ça n’est pas du tout accordé, nécessairement, avec le désir de l’Autre. L’Autre à ce niveau, on peut dire que son inexistence est vraiment saillante.
Alors, le fantasme tel que Lacan en a fait la consistance clinique princeps, est le résultat d’une conjonction singulière du désir et de la pulsion, de l’inconscient et du ça. Et donc, c’est une consistance hybride, et il a cherché des recours dans la topologie pour donner une idée de comment pouvait se rejoindre des entités hétérogènes. Ici, la référence étant en l’occurrence la topologie : comment pouvaient se conjoindre des surfaces de genres différents, comment pouvaient-elles se coudre, et comment à se découdre, on voyait apparaître leurs structures différentes – entre un morceau de plan et une bande de Moebius, la topologie permet de coudre ça, et donc Lacan y a trouvé à représenter cette consistance hybride du fantasme au moyen de la topologie.
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Et quand il a défini la passe, au niveau du fantasme, c’est précisément avec l’idée qu’on obtenir là une disjonction. Ce n’est pas dire que la jouissance était absente de la première perspective de Lacan, celles des formations de l’inconscient, mais elle était essentiellement présente sous les espèces de sa négation, sous les espèces de sa négation signifiante, en tant que castration.
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Au fond, si on veut expliquer comment ça s’arrange dans cette perspective, on est forcé de dire que la castration est le nom de la jouissance – en tant que niée, en tant que négativée, en tant que même rejetée dans le réel.
Alors, ce rejet, on peut en parler de différentes façons.
On peut en parler, de cette présence négativée de la jouissance, comme l’interdiction, ça c’est vraiment la version œdipienne : le Nom-du-Père métaphorise le Désir de la mère et, quand Lacan l’amène à propos de la psychose, ce Désir de la mère, c’est un des noms de la jouissance.
On peut aussi en faire une interdiction purement signifiante : quand Lacan peut dire que la jouissance est interdite à qui parle comme tel – tout à l’opposé de ce qu’il formulera dans son séminaire Encore sur la jouissance du blablabla.
On peut aussi parler de forclusion de la jouissance, d’ex-sistence de la jouissance. C’est le même.
Lacan avait l’idée que la jouissance n’entrait en jeu que sous sa forme négative, jusqu’à ce que s’impose tout de même la nécessité de trouver à désigner une jouissance positive
– ou bien que ce soit la jouissance avant l’interdiction,
– ou que ce soit celle qui reste après.
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Et cette jouissance positive, dans cet ordre, il l’a désignée
– par un grand Φ, par un signifiant qui ne supporte pas le moins [tel qu’il en était d’usage ?],
– ou bien par petit a, c’est-à-dire par une lettre qui n’est pas un signifiant et qui était, en quelque sorte, une positivité récupérée – mais une positivité, puisque Lacan, dans son enseignement l’introduisait comme bouchon de la castration marquée moins phi.
Donc, sur le fond d’une négativation de la jouissance, la présence dans la marge d’un signifiant qui ne serait pas négativable, le grand Φ; et puis, un peu partout, suivant la castration comme son ombre, toujours prêt à réintroduire une jouissance positive sous les espèces de petit a, le bouchon de (-φ) et dominé par la négativation signifiante
Et donc, d’une façon générale, Lacan a traduit la formule de la passe : c’est le débridage de ce bouchon (que j’ai écrit sur l’autre feuille – désolée, je n’ai pas les schémas), de façon à ce que se trouve disjoint (-φ) et petit a.
Voilà au fond la disjonction très simple par laquelle Lacan donne la clé de la traversée du fantasme
(-φ) // petit a
Inconscient ça
Et ce sont deux éléments hétérogènes, on peut dire que ce –φ ressortit à l’inconscient et que le a est cet objet dont Freud a découvert la fonction dans les Trois essais sur la sexualité et qui est mis en valeur dans la seconde topique, à l’étage du ça.
Alors, on voit que c’était déjà un progrès sur le premier temps de son enseignement, où disons la conclusion de l’analyse ne jouait que sur le –φ.
Lacan a d’abord conçu la conclusion de l’analyse comme une conclusion ontologique, débouchant sur le manque-à-être, débouchant sur ce qu’il appelait l’horizon déshabité de l’être, en conclusion de son article sur la « Direction de la Cure », ou encore débouchant sur la division, la Spaltung du sujet, c’est-à-dire encore son manque-à-être, et donc sur un dernier mot qui est néant, qui est rien. Et sa rhétorique a habillé cette conclusion ontologique et lui a donné la splendeur à laquelle je fais allusion sans essayer de vous en citer des morceaux, ni de la reproduire ici.
La traversée du fantasme conserve l’idée de ce que j’appelais la conclusion ontologique – il a parlé à ce propos de désêtre et je me souviens comme ce terme avait à l’époque la propriété de stupéfier alors que ce terme ne faisait que redire d’une autre façon ce que Lacan avait dit d’une façon plus poétique quand il parlait de « manque-à-être » ou de l’ « horizon déshabité de l’être ».
Quand il s’agit donc de la conclusion appelée traversée du fantasme, nous conservons ce que Lacan a pu dire du désêtre et de la déflation du désir, dans laquelle on aperçoit que le désir n’est qu’une autre métonymie du manque-à-être, une révélation, et c’est ça la révélation ontologique, c’est la révélation du désêtre.
Mais elle se complète d’une conclusion existentielle, qui est marquée a, et qui est une positivité de jouissance, qui est une jouissance instante, ex-sistante, qui attache le manque-à-être du sujet à l’existence.
Et si j’en viens maintenant au sinthome, que je vise avec cette rapide reconstruction, avec le sinthome on peut dire qu’on bascule du côté existentiel.
D’où nous voyons maintenant le relief de l’enseignement de Lacan, on s’aperçoit qu’au fond il est passé du manque-à-être, à cette conjonction du manque-à-être et ce que j’appelais la conclusion existentielle, et puis que décidément, avec la consistance clinique du sinthome, il bascule de l’autre côté.
Au fond, d’emblée Lacan avait admis que la vérité avait structure de fiction par rapport au réel. Et il se satisfaisait que l’analyste se tienne au niveau de la structure de fiction et qu’il opère dans la fiction. Et, au fond le mal était au niveau de la fiction.
Au fond, c’est la même chose, mais vu de l’autre côté. « Il y a » qui advient avec le sinthome : le réel ex-siste à la fiction. Au regard du réel, la fiction est une vérité menteuse. Toutes ces affaires d’être, c’est-à-dire d’identifications, et de désêtre, sont au regard du réel une vérité menteuse parce qu’il y a une jouissance qui ne se laisse pas négativer, il y a une jouissance qui n’est pas dans le registre ontologique, qui est un registre de fiction. Et dès lors, on peut dire que jusqu’au sinthome, Lacan a toujours considéré le réel à partir du signifiant, et que ce qui nous dirige ensuite dans son dernier enseignement, dans ce que nous en faisons depuis lors, c’est à considérer le signifiant à partir du réel.
Voyez d’où Lacan est parti : « l’inconscient est vérité ». Et ça oriente la pratique dans le sens de l’interprétation, jusqu’à ce que Lacan ait donné le privilège à la formulation «l’inconscient est savoir » et qu’il ait défini l’inconscient à partir du sujet-supposé-savoir. Alors ça aussi, c’est une formulation qui est contemporaine de ses constructions sur le fantasme, voyez comme cette expression elle-même, comme il y a quelque chose d’hybride dans cette définition.
D’un côté, à définir l’inconscient comme « savoir » et non pas comme vérité, on met l’accent sur le fait que l’inconscient est fait de signifiants, de matériel signifiant qu’on voit sortir au fur et à mesure que se poursuit l’analyse. Mais en même temps, le terme de « supposition » fait bien voir que nous restons dans l’ordre de la fiction. C’est-à-dire, ce savoir matériel néanmoins n’est pas réel, il a un statut de fiction – comme celui que Lacan assignait à la vérité. Et donc si on voulait expliquer la formule de sujet-supposé-savoir – il m’est arrivé souvent d’expliquer cette formule du sujet-supposé-savoir et de m’en servir – mais j’aperçois ici vraiment son caractère hybride.
Et donc, Lacan pouvait dire que, dans la passe, il y a un évanouissement du sujet-supposé-savoir corrélatif du désêtre ; que de la même façon qu’il y a désêtre, il y a le dévoilement de l’inessentiel du sujet-supposé-savoir, c’est-à-dire le dévoilement de la négation de cette essence.
Alors la bascule à laquelle Lacan n’a pas pu donner une expression à la mesure de la nouveauté de la nouveauté que ça comportait, puisque finalement il ne l’a dit absolument en clair qu’une seule fois entre parenthèses, la bascule c’est de considérer l’inconscient comme réel, c’est « l’inconscient est réel ». Et ça, c’est un nouveau concept de l’inconscient, dirais-je un concept qui inclut le ça – pour le dire de la façon la plus simple. Il se sert désormais du terme d’inconscient pour unifier l’inconscient et le ça. Et c’est pourquoi, par exemple, il pouvait dire dans Télévision qu’un symptôme est un nœud de signifiants autour d’une vérité refoulée, et qu’il est fait d’un nœud qui se construit – voyez Autres écrits, pp.76-77 – « réellement à faire chaîne de la matière signifiante. Car ces chaînes ne sont pas de sens mais de jouis-sens…» – Dieu sait si j’ai déjà épinglé ce terme de « jouis-sens », mais si je le traduis en termes freudiens, c’est la conjonction de l’inconscient et du ça. Et l’énorme, c’est que Lacan pouvait déjà dire dans Télévision que c’est le réel qui permet de dénouer le symptôme.
Je me demande comment on est passé si vite là-dessus parce que c’est énorme, l’idée qu’on puisse opérer avec le réel, que le réel puisse être un moyen de l’opération analytique.
Et donc, cette même bascule se constate – cette même bascule qui est marquée par l’implication décidée de la pulsion dans le symptôme – se constate aussi quand Lacan efface progressivement le terme de « sujet » qui appartenait par excellence à l’ordre du signifiant, et le remplace, voudrait le remplacer par le terme de « parlêtre » – évidemment le sujet est disjoint de la pulsion tandis que le parlêtre inclut le corps. Et il dit : voilà le nom qui remplacera celui de l’inconscient.
Donc, au fond tantôt Lacan dit l’inconscient est réel, tantôt – comme l’inconscient réel, c’est vraiment autre chose que l’inconscient freudien – eh bien, il évoque qu’on pourrait le remplacer par le terme de parlêtre – incluant le corps. Et disons, c’est cohérent avec la notion d’une jouis-sens, qu’il n’y a pas de sens, et donc il n’y a pas de signifiant, il n’y a pas de désir qui ne soit connecté à la pulsion, etc. et que la racine de l’Autre, c’est le Un.
Voyez, là je parcours plusieurs années du dernier enseignement de Lacan, c’est comme une nébuleuse, et nous retrouvons là les indices qui nous permettent de voir dans quelle direction pointe la dernière perspective.
Le parlêtre c’est celui qui de parler, en quelque sorte, superpose un être au corps qu’il a. Il superpose un être à l’avoir, et son avoir essentiel, c’est le corps. Au fond, le parlêtre c’est aussi le « na Kun corps ». Alors dans tout ça, il y a une dévalorisation du signifiant, de la valeur de vérité qui modère l’idée de la puissance signifiante.
Considérez par exemple la façon énigmatique dont Lacan entame son séminaire du Sinthome. Et je vais essayer de faire sens de l’apologue qu’il présente au début puisque il évoque la création divine, la création dite divine, et l’histoire qui seraient demandés à Adam de donner aux espèces animales, et ce qu’il met en valeur c’est : la bactérie n’est pas nommée. Eh bien, ça ça veut dire qu’il y a des existences qui n’ont pas de nom, qui n’ont pas de signifiant, et qui n’en sont pas moins du réel.
C’est Lacan qui avait exalté dans son enseignement la puissance créationniste du signifiant. Bien entendu, puisque le signifiant c’est ce qui accouche d’entités qui ont structures de fictions, et donc Lacan exaltait au contraire le pouvoir de création du signifiant qui s’exerce ex-nihilo, à partir de rien, là où il n’y a rien, le signifiant fait être quelque chose, et en particulier il fait être la vérité. Eh bien, nous avons ici l’envers du décor, nous avons au contraire quelque chose qui a existence sous les humbles espèces de la bactérie et à quoi on ne daigne pas accorder la nomination. Et on a cru d’ailleurs à cette date que Lacan exaltait la nomination, la fonction de la nomination, alors que tout au contraire il évoque la nomination pour montrer qu’elle est sa distance avec le réel. Et bien, c’est dans ce contexte qu’il peut dire que la création dite divine se redouble de la parlotte du parlêtre. C’est-à-dire ce qui implique, ce qui impliquerait, parce que nous sommes là au niveau d’un apologue, qu’il y a d’abord le réel, et que s’ajoute ensuite, se surajoute le signifiant, et donc cet apologue du début du séminaire du sinthome il dit la primarité du réel. Et c’est avec le signifiant que commencent les embrouilles, les embrouilles du réel, les embrouilles du désir, les embrouilles de l’interdit, les embrouilles de l’Oedipe parce que à la racine, le signifiant vient percuter le réel. Et chez les parlêtres ce choc initial, ce traumatisme, introduit une faille, qui est aussi bien le phallus, qui est aussi bien la faute, le péché ou « sin » dit Lacan en prenant la première syllabe du sinthome, s.i.n., en anglais « sin », le péché. Et la faille, cette faille initiale, tend à s’agrandir toujours sauf dit-il à subir le cesse de la castration.
Ce qu’il appelle ici castration, c’est ce qui ferait le symptôme, c’est ce qui ferait que ça puisse s’inscrire dans un discours qui ne serait pas du semblant mais qui serait du réel. C’est le nouveau sens de la castration : ce qui fait cesser les embrouilles du sens.
écriture et hérésie
Et en effet ici Lacan introduit – Lacan qui avait célébré la fonction de la parole -, l’instance de l’écriture comme essentielle à la pratique analytique. La différence, c’est que la parole porte du sens, tandis que l’écriture rejoint le non-sens. Cette fois, il faut radicalement distinguer le signifiant et la lettre : le signifiant effectue le signifié, tandis que la lettre est matière. Et donc Lacan nous dirige dans ce sens d’un certain forçage des limites de l’analyse : dans le champ du langage, il y a plus que la fonction de la parole, il y a l’instance de l’écriture.
Et Lacan sait si bien que c’est un forçage qu’il n’hésite pas ici, mais pas avant Le sinthome, à s’affirmer comme hérétique dans la psychanalyse, en se proposant d’être hérétique «de la bonne façon ». Mais, sans doute a-t-il été discret là-dessus. Parce que hérétique, il l’a déjà été pendant 20 ans, dès qu’il a commencé à ouvrir la bouche, c’est tout le temps qu’on le disait hérétique, Lacan lui se considérait comme freudien.
Et c’est ici que lui-même évoque son hérésie. Quelle est la bonne façon d’être hérétique dans la pratique de la psychanalyse ? Il en donne la formule : « La bonne façon est celle qui, d’avoir bien reconnu la nature du sinthome, ne se prive pas d’en user logiquement, c’est-à-dire d’en user jusqu’à atteindre son réel, au bout de quoi il n’a plus soif. » – p. 15 du séminaire du Sinthome.
C’est un appel à [ ?la nature?] du sinthome dont il s’agit d’atteindre le réel – il ne s’agit pas d’atteindre sa vérité. C’est la notion que le sinthome est du réel, que ce n’est pas un retour du refoulé, que ça ne s’apaise pas avec de la vérité, que ça ne s’apaise pas avec du sens – comme Freud s’en était bien aperçu en ayant sur les bras les restes, qu’il appelait les restes symptomatiques de ses patients, et c’est ce qui le conduisait à dire, bon – après un petit temps de latence, si je puis dire -, on attend 5 ans et puis on s’y remet, et puis il y aura des restes symptomatiques.
Lacan passe à la limite en disant : il y aura toujours des restes symptomatiques. Parce qu’il est de la nature de la jouissance de résister au sens. Et il y a une jouissance qui tient au corps, qui se produit dans le corps (évidemment, ça se produit aussi dans la pensée, on peut penser au symptôme obsessionnel – si j’ai le temps, j’y reviendrai plus tard, on parlait de ça justement ce weekend).
Le sinthome est du réel et il appelle du sens, il suscite du sens, il suscite l’interprétation aussi bien du patient que de l’analyste. Et c’est à ça que Freud dans son orthodoxie, si je puis dire, a succombé. Et c’est comme ça qu’il a découvert l’inconscient parce que les hystériques, du sens elles lui en ont donné à ras bord, en veux-tu en voilà, bien sûr qu’il faisait des séances longues, c’était encore trop court pour lui parce qu’il attendait la suite, elles devaient lui dire « Non, non, ça je vous dirai demain ».
L’hérésie, c’est cette mise à distance du sens s’agissant du sinthome.
Et au fond, autant la psychanalyse que Lacan implique comme orthodoxe fournit du sens, autant cette psychanalyse hérétique sèvre le patient de sens. Et si l’on veut, c’est au moins une pratique qui correspond au temps de l’outre-passe, où l’analyste à affaire aux restes symptomatiques quand le sujet ne s’en est pas satisfait. Et à ce moment-là, l’analyse devient un sevrage de sens. Et Lacan était tellement convaincu que le sens alors pouvait être peu indiqué ou dangereux, qu’il lui est arrivé d’évoquer la nécessité d’une contre-psychanalyse après avoir fait un analyse – étant entendu qu’elle aurait visé justement à ce nettoyage du sens que j’évoque.
Alors il parle d’usage logique du sinthome, et il s’agit en effet d’une pratique orientée par le mode logique.
Il ne faut pas s’imaginer que le hors sens, c’est la nuit noire.
Quand Lacan situe le sinthome comme du réel hors sens, c’est au sens où la logique procède hors-sens, qu’elle formalise, qu’elle pose ses axiomes et qu’elle déduit hors-sens, c’est-à-dire en opérant dans un champ du langage nettoyé de la signification. Vous trouvez ça déjà dans l’écrit de Lacan qui s’appelle « l’Etourdit », la connexion de la logique et du réel, quand Lacan écrit : la logique est la science du réel. Ces affinités de la logique et du réel sont à l’opposé des affinités de la philosophie et de l’être. Le hors sens qu’il évoque, c’est le hors-sens qui est le résultat du nettoyage du champ dont on exclut la signification pour manier la lettre. Et ce n’est pas simplement, on se cogne partout, on ne voit rien, on ne peut rien en dire, mais : il y a possibilité d’une articulation – que Lacan dans son tout tout dernier enseignement se soit mis à douter de cette articulation elle-même, c’est un autre chapitre. Ici, je m’en tiens à ce que ça me suggère de la dé-ontologisation de la pratique analytique qui suppose [ l’hérésie ça n’est …] pas de quitter le champ du langage c’est demeurer, mais en se réglant sur sa partie matérielle, c’est-à-dire sur la lettre au lieu de l’être.
Il est arrivé à Lacan de jouer au contraire sur les affinités de la lettre et de l’être – les assonances, dans son article qui s’appelle « L’instance de la lettre », il en joue. Mais tout au contraire dans la période de sa réflexion que j’évoque, il passe par le mot Lituraterre – littérature transformé en lituraterre – pour faire valoir la lettre comme litura, comme déchet, et donc pour l’arracher à ses affinités avec l’être.
Alors, le réel du sinthome que Lacan nous propose dans cette phrase d’atteindre, disons que c’est la pure percussion du corps par le signifiant, par la parole. C’est ainsi d’ailleurs, que Lacan définit à cette occasion les pulsions, comme l’écho dans le corps qu’il y a un dire. Ce thème de la résonance est familier à Lacan, puisque dès son premier texte, «Fonction et champ de la parole et du langage », il l’introduit, et d’ailleurs comme le titre de sa troisième et dernière partie, p. 289 des Ecrits, « Les résonances de l’interprétation » – et donc la notion de résonance est là d’emblée, mais au début de l’enseignement de Lacan, elle est prise dans une poétique du langage, alors qu’ici il s’agit d’un usage logique. La percussion, elle nécessite, pour retrouver la percussion initiale, un usage logique qui serait capable de tarir le sens et de couper le souffle.
Lacan l’évoque à propos de Joyce, il dit qu’il coupe le souffle du rêve, qu’il coupe le souffle du rêve de la littérature – avec son Finnegan’s wake qui est écrit dans une langue personnelle, qui joue de toutes les assonances. Et il dit que c’est à cette occasion que Joyce a mis au jour le sens du symptôme littéraire. Autrement dit la littérature rêve et Joyce avec son roman d’assonances montre de quoi elle est faite matériellement, et en nous montrant de quoi elle est faite matériellement, il la révèle. Il la révèle pour qu’elle finisse, pense Lacan – La littérature ne pouvait se soutenir que de son rêve, que de ne pas savoir de quoi il était question.
« entre logique et libido »
Eh bien, ce qui est à l’horizon que dessine Lacan, j’irais jusque là – moi, je me situe dans l’espace de l’outre-passe -, c’est de mettre au jour le sens du symptôme psychanalytique : de quoi est fait une psychanalyse, c’est ça qui vient au premier plan dans une outre-passe, de quoi est fait votre attachement à la psychanalyse, à la jouissance de la psychanalyse. Là aussi il y a un rêve qui appelle un réveil qui ne se fait pas sur le modèle de l’effet de vérité.
Pour cela il faut suivre Lacan dans ce qu’il nous indique. C’est là-dessus que j’ai montré à Montpellier[ii] que convergeait le séminaire du Sinthome : que la pratique que Lacan nous indique – ou qu’il peut nous permettre d’inventer, ou qu’il peut nous permettre de théoriser – passe par une désublimation qui n’épargne pas la théorie psychanalytique et qui décape la pratique de son orientation vers la vérité et même de son adoration de la vérité.
Une pratique qui vise au serrage du réel du sinthome.
Au fond, nous en avons eu l’exemple d’emblée à Montpellier, à propos d’une phrase clinique de Lacan : « arracher l’obsessionnel à l’emprise du regard ».
Et ça ne va pas de soi qu’on puisse dire que ce soit là l’essentiel. On dirait, dans la psychanalyse, qu’il s’agit de l’idéal du moi, l’instance qui surveille et qui juge, on évoquerait l’homme aux rats qui à un moment spécial de sa jouissance s’en va ouvrir la porte pour voir si son père n’est pas là. Ce que Lacan indique, au contraire, c’est que le père, le grand I de l’Idéal-de-moi, ce sont des fictions, ce sont des fictions qui permettent de méconnaître ce qu’il y a à la racine, qui est la présence du regard.
Le réel du symptôme obsessionnel – c’est pas le père, c’est pas l’idéal-du-moi -, le réel du symptôme obsessionnel que Lacan nous invite à atteindre c’est le regard – l’idéal et le père sont dérivés du regard.
C’est dans ce sens que Lacan peut dire que la vérité est sœur de la jouissance, sœur cadette – c’est-à-dire qu’elle vient après. Mais, il y a d’abord la jouissance. Ce qui vraiment inverse l’ordre sublimatoire dans lequel l’orthodoxie psychanalytique – y compris la lacanienne – nous a appris à penser. Au fond, la théorie analytique, c’est une sublimation de sens et c’est pourquoi Lacan faisait appel à une pratique sans vérité. On a rencontré ça dans son tout dernier enseignement, je vois mieux maintenant ce que ça veut dire. Une pratique sans vérité, c’est une pratique sans la fiction de la vérité, sans la fiction des universaux – c’est une pratique désublimée.
Et alors, quand on proposait à la fin d’analyse la sublimation comme idéal, voire devenir écrivain, devenir artiste, c’était aussi au nom d’une idée de l’art que Lacan conteste dans son séminaire du Sinthome – en montrant que l’art, à travers l’exemple de Joyce, à sa racine, dans son réel, est lui-même de l’ordre du sinthome.
C’est là l’idée que Lacan avait de Finnegans Wake, que Joyce l’avait écrit pour lui-même et que le fait qu’il l’ait publié n’allait pas de soi, que c’est parce qu’il avait de mauvaises intentions, que c’est parce qu’il avait l’intention de couper le sifflet aux autres écrivains et d’en finir avec la littérature. Qu’est-ce que ça veut dire ça ? C’est que Lacan nous invite ici à traiter l’œuvre d’art elle-même à partir de la pulsion, à partir de la pulsion scriptuaire, l’œuvre d’art est à entendre dans l’auto-érotisme du parlêtre.
De la même façon, c’est dans ce séminaire que Lacan réduit, désublimise le père en disant que le père n’est qu’un symptôme. Et c’est pourquoi, il parle de père-version – il y a une ironie bien sûr puisque le père est supposé dans la psychanalyse orthodoxe être le support du normal, et que Lacan fait entendre ce qu’il comporte de pathologique. Mais, c’est aussi dire que du père, il n’y a que des versions, que l’essence qu’on appelle le père, et précisément le Nom-du-Père, qui a été donné par un certain orthodoxe qui s’appelait Lacan Jacques, eh bien que précisément le Père n’existe pas dans la pratique de l’analyse, il n’existe que des pères, singuliers.
Et au fond, la désublimation, la chute des idéaux et universaux, elle a commencé pour Lacan à partir de la sexualité féminine, lorsqu’il a pu dire « La femme n’existe pas, il y a des femmes » – eh bien, de proche en proche, il l’a étendu à toutes les catégories, et en particulier à celle du père, et c’est dans le même esprit qu’il peut dire que le vrai – c’est aussi une phrase que j’avais proposé à Montpellier – que « le vrai, ça fait plaisir », ce qui bien sûr fait déchoir le vrai de sa qualité d’effet de vérité, pour montrer en quoi il est une affaire de libido.
Et au fond, c’est là la torsion majeure de notre pratique, entre logique et libido.
Alors, dans les dernières phrases que j’avais fait commenter, il y a celle-ci de Lacan, et qui s’entend mieux sur le fond de différence entre la psychanalyse orthodoxe et l’hérétique : « l’analyse, dit-il, est une réponse tout spécialement conne à une énigme » – et bien entendu c’est la psychanalyse comme orthodoxe qu’il vise. Et, « tout spécialement conne »[iii] dans son esprit, ça veut dire que l’analyse orthodoxe essaie de répondre à l’énigme sexuelle par un effet de vérité, par un « que la lumière soit », par une élucidation – alors qu’il s’agit au contraire d’atteindre ce que la jouissance comporte d’opacité irréductible. Et c’est là ce que vise l’hérésie lacanienne.
On a pu croire que l’Autre, c’était l’Autre de la parole, l’Autre du désir, et Lacan a construit son graphe sur cet Autre, et il a même pu situer à côté de ses formations de l’inconscient, le fantasme de la traversée. Évidemment, on entre dans un tout autre cadre quand on admet que l’Autre c’est le corps, qui n’est pas ordonné au désir mais qui est ordonné à sa propre jouissance. Que ce réel, Lacan ait voulu lui donner la forme borroméenne, on peut en prendre acte – il n’empêche que au cœur, là où se coincent les ronds borroméens, il y a toujours à placer un prélèvement corporel, et je vous en ai donné un exemple avec ce regard – dont j’ai montré à Montpellier comment on pouvait le retrouver dans les différentes structures cliniques, ça sera publié, Montpellier, les travaux de mes collègues, les discussions, et donc je ne vous en dirai pas davantage aujourd’hui, en vous donnant rendez-vous à la semaine prochaine.
[i] L’enregistrement que j’ai fait été cette fois-ci très mauvais, j’étais distraite et j’ai mal placé le micro. Je mets entre crochets ce qui est incertain. Si quelqu’un a mieux entendu, enregistré ou noté que moi, peut-être voudra-t-il bien m’éclairer.
[ii] Dans une atmosphère de rigolade, qui n’est pas la nôtre ici…
[iii] Je dois dire que là-bas ça a fait rire tout le monde, ici personne…
Chère Veronique, merci de ton précieux travail, et de la vitesse avec la quelle tu nous le rend disponible. Je veut simplement te signaler la graphie du séminaire XXI: Les non-dupes errent
Bien à toi
Marco Focchi
Merci Marco, c’est très gentil. J’ai fait la correction.
( je publie vite, parfois trop vite, tant il est vrai qu’il est si facile de corriger, encore, et encore, après publication…)
Véronique
merci 🙂
Veronique, merci de votre travail. C’est vraiment super!