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Lettres & messages #66

Florence Hougardy : Justine donne des nouvelles de Louise

Oui, Justine Lévy est la fille de BHL. Oui, les trois romans qu’elle a publiés sont largement inspirés de sa vie. Mais si Mauvaise Fille relève d’un genre littéraire récent et parfois contesté, l’autofiction, ce roman est aux antipodes de la presse people. Le personnage de Louise n’est pas le porte-parole de la vie de Justine mais son point d’énonciation. Comme chacun, cette jeune écrivain éprouve que ce qu’elle est comme sujet ne se résorbe pas complètement dans son écriture, qui toujours bute sur un point de réel. Cette expérience particulièrement sensible chez Justine Lévy est le tour de force qui, plus que son illustre famille, explique probablement son succès et parle aux gens de sa génération.

Ce qui est monstrueux, c’est que j’ai zappé maman en faisant un enfant. Voilà ce qui constitue la thématique de ce roman. Une sorte d’insupportable concordance des temps entre une jeune femme qui s’apprête à donner la vie au moment précis où sa propre mère est en train de la perdre. À partir de ce point, l’héroïne va osciller entre entreprise de subjectivation d’une part, et mise en scène du réel des corps d’autre part : “suis-je une mauvaise fille ?” côtoie l’odeur du cancer de la mère ; les questions sur l’amour et la culpabilité envers le bébé flirtent avec l’ouverture du ventre pour césarienne. L’écriture va tenter de cerner ce qui n’épargne pas Louise, cette héroïne qui se débat avec les claques que lui donne la vie mais dont la dimension bloc de culpabilité par laquelle elle se définit n’évacue pas sa responsabilité dans l’affaire.

mauvaise-fille

Ce qui s’écrit sur le jour de l’enterrement de la mère de Louise illustre pourtant un style trop léger pour être qualifié de cynique: Merci, disent les pochards à papa (…). Merci de quoi, me demandera papa, après, dans la voiture ? Je pensais que tu avais compris, je lui réponds en n’arrivant pas à retenir un fou rire. Ils te remerciaient de les avoir rincés pendant des années. Idem quand Louise reproche aux croque-morts d’avoir fait à maman, sur son lit de mort, une bonne mine de travelo. Cette écriture qui témoigne d’une débrouille avec le réel produit, au cœur même de la tragédie, un effet comique et parvient de la sorte à transcender l’angoisse qu’elle contient. Crash filial. Strip-tease du malheur.

Le style est donc vif et fulgurant. Les phrases sont courtes ou hachurées, comme si l’auteur avait écrit après un sprint, haletante. Ce n’est d’ailleurs pas un livre qu’on pose et sur lequel on revient. Non, Mauvaise Fille, ça se lit à toute vitesse.

Avec Louise, Justine Lévy parle aux femmes de sa génération, ces trentenaires aux prises avec les avatars de leur vie de couple, ces jeunes mères auxquelles l’époque impose un questionnement sur cette maternité qui ne va plus de soi et qui fait sauter au visage leur propre division ; ces filles qui, si elles n’ont pas toutes une mère aussi fascinante que celle de Louise, s’y retrouvent sur les thèmes de l’amour et du ravage avec la leur.

À travers ce roman, l’auteur tente de réhabiliter sa mère. Louise en fait un monument, et c’est sur les épitaphes de sa tombe que la petite Angèle apprend à lire.

Prise de position subjective : la lectrice que je suis, elle aussi, en est encore toute haletante.

Tiens ! Il paraît que Mauvaise Fille avait été proposé pour le Goncourt…

Justine Lévy, Mauvaise Fille, Paris, Stock, 2009,198 p.