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Varia sur la Passe #66

Quelques remarques d’un passeur

par Annie Dray-Stauffer

J‘ai été passeur cinq fois. Deux de ces passants ont été nommés AE. La première passante pour laquelle j’ai eu à témoigner, a été nommée AE. Elle avait déjà effectué un travail remarquable, à la fois de condensation des moments clefs de ses analyses et de construction de son cas. Je n’ai compris que plus tard à quel point elle avait elle-même “préparé” mon propre travail qui a quand même consisté en un ordonnancement, une condensation et une filtration de ses dires. Elle ne m’a remis aucun texte écrit et je trouve contraire à l’esprit de la passe de le faire, la fonction de plaque sensible du passeur s’en trouvant alors quelque peu court-circuitée. L’exposé de ce cas au cartel de la passe s’est fait dans des conditions particulièrement intéressantes, sous la forme d’une discussion avec l’autre passeur et les membres du cartel, dans un climat exempt de tout agacement, et marqué pour chacun d’un formidable désir de savoir. Je lisais le texte que j’avais écrit et chacun m’interrompait pour avoir des précisions ou compléter mes dires avant qu’une conversation plus libre ne s’instaure.

Pour le second passant nommé AE – ma quatrième passe –, il en fut autrement. Le passant se centra surtout avec moi sur les détails de la fin de sa cure, le mode de satisfaction que celle-ci lui apportait et son nouveau rapport au savoir, à la vérité et à l’ignorance. Moi-même taraudée par une interrogation sur la fin de ma cure (il s’était écoulé 2 ans et demi), je n’ai pas posé suffisamment de questions sur les détails de son très long trajet analytique, avec lequel il me semblait avoir pris une grande distance, ce qui me fut reproché par certains membres du cartel. Il m’en avait toutefois donné les points essentiels, les moments de passe. En revanche, j’émets l’hypothèse que de l’avoir laissé dire a peut-être permis qu’il aborde une question qu’il n’a pas abordé avec le deuxième passeur, tournant autour de l’acquisition d’un savoir y faire avec le vide. Cela me semblait témoigner d’un point d’avancement de son travail qui me faisait penser qu’il pouvait être nommé AE, ce que j’ai dit aux membres du cartel. Après mon exposé, plutôt que de partir, comme cela se fait habituellement pour laisser place à l’autre passeur, j’ai demandé à rester. Entendre cet autre témoignage m’intéressait tout spécialement, du fait de ce que je viens de dire, et aussi parce que les lacunes de mon exposé me laissaient sur ma faim. J’ai été surprise par la différence entre nos deux témoignages. Celui de l’autre passeur était extrêmement précis sur tout le déroulement des différentes tranches d’analyse. Elle en a été également frappée, quand elle a lu mon texte, après coup.

Ces deux expériences si dissemblables me semblent bien éclairer “la solitude” et l’ignorance du passeur jusqu’à maintenant, quel qu’ait été son effort pour lire tout ce qui s’était écrit sur la passe, et bien peu sur la position du passeur. Je dis bien jusqu’à maintenant, car il me semble qu’après ce que nous lisons tous depuis les Journées, on ne sera plus passeur de la même façon : il se dit maintenant de façon beaucoup plus directe que le passeur n’a pas à être le “secrétaire” du passant. Mes deux expériences me l’ont appris en effet, mais je ne le “savais” pas, et il est essentiel que cela soit dit aux futurs passeurs, ainsi que d’autres points abordés par les uns et les autres au cours de ce débat. Le “silence des cimes” qui a régné risque d’assourdir la voix du passant, et la passe d’en être bâillonnée.