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Les Journées de l'ECF #56

UNE COURSE POUR LA VIE

par Stéphanie Morel

L’inédit du témoignage d’Alain Prost réside dans la pertinence de ses énoncés, qui sont la marque d’un homme d’exception dans son domaine, la Formule 1. Son analyse de son destin de champion du monde dans un sport à haut risque, nous a permis d’entrevoir ce qui fait l’étoffe d’un champion reconnu pour sa science de la course et des réglages techniques, qui lui a valu les surnoms de «  Professeur », ou encore de « Chirurgien ».

Le point fondamental qui se dégage de son récit, c’est son rapport au risque calculé, dans une logique de maîtrise constante de la technique, confinant au perfectionnisme. C’est l’attention portée aux « petits détails » qui fait toute la différence, et permet au pilote de courir dans les meilleures conditions psychologiques. Dans son combat pour la sécurité, Prost nous a démontré que le plus déterminant pour lui se situait dans le calcul sur le risque : il y a un point-limite à ne pas dépasser, dont le franchissement peut être fatal. Défier la mort, oui, mais non sans calculer le risque. L’essentiel, « c’est de finir la course », et non de braver tous les dangers. Dans une interview en 1988, Alain Prost déclarait : « Ce n’est pas tant la sensation de vitesse qui procure une incroyable griserie en F1, mais la sensation de défier la mort. Cela donne un très grand amour de la vie ». La course, qui est en elle-même un défi à la mort ; Prost y a développé son art du pilotage dans une logique de préservation de la vie. Il s’agit de sauver sa vie en prenant appui sur un savant calcul constant du risque tel que la course en F1 le déploie.

Dans ma pratique, je reçois en centre de rééducation fonctionnelle des patients accidentés de la route. J’ai constaté que, chez certains, la prise de risque était à resituer dans une toute autre logique que celle d’un professionnel de la vitesse comme Alain Prost. Il est patent qu’elle se révèle avoir une dimension sans limite, qui témoigne d’un rapport au corps mettant en jeu la castration dans le réel, sur le mode d’un « pousse-à-la-blessure », tel que l’a développé Jean-Pierre Deffieux.

Dans ces cas, la pulsion n’est pas la pulsion domestiquée par l’objet a, c’est la pulsion dans le réel du corps, avec son versant irrépressible et dangereux de la pulsion de mort, qui peut se traduire par un passage à l’acte. Il y a alors franchissement et débordement de jouissance. C’est probablement ce qui a coûté sa vie à Ayrton Senna.