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#85

Christophe Dubois, « Opération barricades »

Je m’amusais il y a peu du sursaut électronique de l’ECF: un site web dernier cri, des vidéos sur Youtube et Dailymotion, une arrivée sur Facebook (j’y étais d’ailleurs un de vos premiers « amis ») et dernièrement le débarquement lacanien sur Twitter. L’image du vieil analyste écrivant sur du papier jauni dans un bureau qui sent le tabac est à ranger en partie au placard. Le psychanalyste vit avec son temps et n’est pas un amish se tenant à l’écart de la société.

Bien au contraire, le psychanalyste, parce qu’il en a appris beaucoup sur lui et écoute comment ses patients vivent le monde est totalement « in », « branché », « dans le coup ». Bien plus tôt au fait des nouvelles modes ou tenu au fait de l’évolution des pratiques amoureuses bien avant les journalistes de magazines féminins.

Si la psychanalyse est à ce point à la page, c’est parce qu’elle est partout (même si on en voudrait plus). Elle est partout parce que depuis des générations on invite les analysants à en faire plus, à faire différemment, à se nourrir de toutes les sciences humaines, et cela depuis que Freud a défendu une psychanalyse laïque et inscrite à tous les endroits de la cité.

Qu’est-ce qu’un analyste ? C’est une personne qui a suivi une psychanalyse et qui écoute des analysants. Que serait un membre de l’ECF ? Un psychanalyste, probablement psychiatre ou psychologue, les autres ayant été bien téméraires. J’avoue que la nuit qui a suivi ma lecture de votre réponse à Yves Depelsenaire a été très longue, j’étais (je le suis toujours) perplexe et j’ai même tweeté « mais quelle mouche a piqué JAM? ». Pour moi, ce que vous répondiez allait tout à fait à contre courant du mouvement que vous avez si énergiquement et magnifiquement lancé contre ce fameux amendement qui a fait trembler la communauté analytique et qui se poursuit maintenant dans un foisonnement et une richesse formidable d’activités dans et autour de l’Ecole. Ce mouvement m’a porté, et soutient encore mon engagement politique pour la psychanalyse, non pas qu’il me soit nécessaire de pouvoir protester et manifester pour une cause (avec le réchauffement climatique, les dérives financières ou le totalitarisme il y a déjà de quoi nourrir des milliers de militants pendant quelques générations), pas du tout, la psychanalyse a encore et toujours une position subversive et décalée qu’il est ô combien important de défendre pour garantir la dignité du sujet. Partant de là, lire que des psychiatres ou des psychologues ont plus leur place que les « ni… ni » a ouvert chez moi un abîme assez désespérant.

Je remercie vivement Yves Depelsenaire et Philippe Hellebois pour leurs textes publiés dans le JJ. Ce n’est pas pour rien que la réaction des ces deux là m’a quelque peu rassuré, et ce « pas pour rien » c’est la Belgique. En Belgique, pas d’Accoyer. Son amendement nous a fait trembler parce que nous sommes tous embarqués dans le navire de la psychanalyse certes, mais dans ce plat pays qui est le nôtre, le législateur n’est pas encore parvenu à injecter son vaccin dans la communauté analytique. Engagé en politique, j’ai fermement protesté en 2003 (je souris, j’avais 21 ans et j’échangeais des emails enflammés avec une députée soutenant le projet de loi jusqu’à ce que certains de ces collègues parlementaires rejoignent ma position) contre une proposition de loi du même acabit que ce que la France a connu. A l’époque, Philippe Hellebois et d’autres ont incarné ce combat contre l’ingérence du politique dans nos cabinets. Le projet est maintenant au frigo, on ne sait pas quand il refera surface. Mais je suis à présent plus qu’inquiet. Est-ce qu’au nom d’une défaite en France, les « amis de la psychanalyse » en Belgique vont devoir se passer du soutien de l’Ecole de la Cause Freudienne quand le maître aura décidé de ressusciter sa Bête ?

Je pose cette question, et j’émets le souhait que sous le voile moderne et haute technologie de la nouvelle École ne se cache pas un mouvement rétrograde qui enverrait à la corbeille plus d’un siècle de psychanalyse laïque que Freud avait défendu.