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Varia sur la Passe #70

LES DITS ET LE DIRE

par Sophie Gayard

Témoignages, questions, propositions ou remarques : quelle riche diversité dans les textes autour de la passe parus dans le JJ depuis à peine un mois. Chacun ou presque avait donc quelque chose à dire concernant la passe. Une parole s’est remise à circuler, grâce au mouvement produit par les Journées, grâce à J.-A. Miller : quels en seront les effets ?

Je suis frappée des résonances que nous pouvons trouver entre les textes. Tel témoignage a donné envie à tel(le) collègue de dire autre chose, et ainsi de suite… Une chaîne de dits se tisse donc, qui à la fois préserve et relance l’énonciation de chacun. Nous nous trouvons donc au cœur de la délicate question qui nous préoccupe, entre transmission des dits et transmission d’un dire.

Les différentes expériences de passeur évoquées par les collègues dans plusieurs JJ m’ont poussée à de nouveau m’interroger sur le moment où j’avais été désignée passeur. C’était dans l’immédiat après-coup d’un « événement de corps » qui, par les arcanes mystérieux des pataquès que seul l’inconscient sait produire, m’avait conduite à l’hôpital avec un diagnostic médical peu enviable heureusement vite réfuté. Mais il ne s’agissait pas là d’un nouvel avatar du symptôme venu se loger dans un « langage du corps » supposé conforme à ma structure. Il avait cependant fallu que le corps soit touché pour passer outre certaines déterminations : malgré ma totale incompréhension de l’affaire alors, j’éprouvais que quelque chose s’était passé. La désignation comme passeur vint « interpréter » ce moment en validant qu’il s’était en effet passé quelque chose, sans y donner pour autant aucune signification, mais indiquant une orientation : vers l’École. Le moment de la désignation comme passeur correspondait donc à un nouvel arrangement (bien loin d’un « tout s’arrange »), encore insu du sujet, entre quatre termes : le corps, le dire, l’amour et la psychanalyse, en tant que c’est l’École qui en soutient la transmission. En fait, que le corps soit touché avait changé quelque chose au dire. Il me semble que c’est ce point-là qui importe, ce point-là qui rend le passeur susceptible d’être « plaque sensible ». Un état et un mouvement particuliers du dire : n’est-ce pas cela, dans une configuration nouvelle, qui se retrouve dans ce qui pousse à faire la passe ? Il reste alors à se tenir toujours sur la brèche d’en maintenir ensuite l’étonnement.

Si c’est au passant de frayer un chemin, entre les dits et le dire, entre la clarté et l’opacité, entre son hystoire et la contingence, et de savoir y entraîner les passeurs et le cartel, sans doute est-ce à l’École de préparer le terrain pour que quelques uns au moins puissent continuer à ouvrir le passage.