et à votre sagacité, dans le fil de la proposition d’alain de l’art comme « faire » je propose encore ce court extrait de Duve (et j’en aurai fini pour aujourd’hui!) :
Ainsi, le readymade est de l’art à propos de la peinture avant d’être de l’art à propos de l’art. L’art de peindre, c’est l’art du faire, dit Duchamp, qui répète là une très vieille définition de l’art comme artisanat et habilité manuelle. Mais si l’industrialisation a rendu objectivement inutile l’artisanat, alors l’habilité manuelle est aussi ce que l’artiste sensible à l’époque doit ressentir comme impossible. Ce sentiment est, dans la peinture, même normale, sa « nécessité intérieure », la nécessité qui poussa Kandinsky et les autres pionniers de l’abstraction à abandonner presque toutes les conventions traditionnelle de la peinture, et qui poussa Duchamp à l’abandon du métier lui-même.
Fini le faire, reste le nom. Fini le tour de main, l’habilité, le talent, reste le génie, le Witz. A Denis de Rougemont qui lui demande « Qu’est-ce que le génie? », Duchamp répondit par un calembour : « L’impossibilité du fer ».
Puisque faire signifie choisir, le syllogisme de tout à l’heure conduit à la conclusion, cette fois, que le génie tient à l’impossibilité de choisir. Et puisque l’exemple exemplaire d’un tel choix impossible est un tube de bleu, un tube de rouge, il faudrait imaginer que le génie tient à l’impossibilité de choisir ses couleurs, d’ouvrir un tube, de commencer son tableau, de peindre. Génie de l’impuissance en lieu et place de l’impuissance du talent !
Thierry de Duve, Résonnances du readymade, « Le readymade et le tube de couleur » (1984-1989), Éditions Jacqueline Chambon, 1989, p. 127, 128, 129, 130