Très chère Véronique,
Saya Zamurai / Scabbard Samurai (2011)
Hitoshi Matsumoto
2011
Je suis très touchée par ton message et la réouverture de ton blog. Je prépare deux autres textes, un sur Shame et l’autre sur cet étrange film japonais dont nous avait parlé Vanessa via Alexis, Saya Zamuraï, http://t.co/DOYZS1hX, qui m’a émue aux larmes (des vraies, pas de crocodile!)
Vive l’écriture dans l’après-coup de nos escapades!
Je t’embrasse fort.
A bien vite.
Géraldine.
Quel ravissant petit surmoi a ce samuraï en la personne de sa fille d’une dizaine d’années, qui lui conseille avec insistance de se suicider, puisqu’il n’est plus capable de combattre ! Ceci dit, les épreuves auxquelles le malheureux doit se soumettre pour retarder son seppuku sont moins drôles les unes que les autres et plutôt répétitives ( il y en a trente…) La fin est très jolie. Je n’avais vu aucun film japonais de ce genre.
Dominique.
… « moins drôles les unes que les autres », je ne sais pas si je dirais ça. Étranges, certainement. Certaines cependant drôles. Je ne pense pas qu’elles se ressemblent toutes, je pense au contraire qu’elles supporteraient une analyse de leur progression. M’a frappée tout d’abord l’engagement physique du protagoniste. Il y va d’abord de son corps.
Et je suis sûre d’avoir rêvé cette nuit du passage où il s’envoie en l’air dans un canon, quand sa fille reprend en main les mises en scène : au lieu de lui, c’était Miller !!! Cet homme, Nomi Kanjuro, dont sa fille nous demande de l’admirer, qui va s’envoler dans les airs, et qui, si vite, retombe dans l’eau… c’est touchant, lamentable – drôle, oui. Marquantes également, les remarques des spectateurs autour de cet évènement, l’un d’entre eux :« Il est tombé trop vite, j’aurais espéré qu’il aille plus haut… » et ce mot d’esprit fait malgré lui par le gardien un peu simplet qui, pour la première fois, les fait rire, eux : « J’ai mis le feu au canon et c’est moi qui me suis enflammé (ou qui ai explosé ) »…
L’épisode, magnifique à mes yeux (à cause de mon nom, Müller, « meunière »), du moulin qu’il doit faire tourner de son pauvre souffle, avec ce moment où quand il porte la main à son fourreau vide les pales du moulin se mettent enfin à tourner, jusqu’à bientôt déclencher une tempête…
Cet épisode nous parle bien du vent de la parole, du signifiant, du nom-du-père, ici déchu, vidé de son sens, après ce deuil de la mère, mais qui en retrouve un au fur et à mesure des 30 jours par le biais du comique, du rire de soi, parce qu’il s’agit de sauver sa vie, et que c’est cette vie, plus forte que sa déchéance, qui l’entraîne, l’amène, les amènent tous, villageois, prince compris, à redonner un sens nouveau à ce qui a été perdu, à ce qui s’est vidé, sans avoir à dénier les valeurs passées ( héroïsme, courage, honneur, fierté, valeurs aristocratiques s’il en est, qui appartiennent également à la psychanalyse) (mais sans plus s’y identifier). Ce passer-outre, outre ce deuil du sens, ce deuil du vent, ne se passant pas d’en passer par du vent ( le symbolique) et par le don et l’engagement « physique » de son souffle, de sa parole… Le moulin qui finit par tomber, le drame qui se (re) joue alors, la petite fille qui le supporte à la façon un peu du Christ qui porte la croix…
Le fourreau s’est vidé (l’épée n’était que d’air), mais vide, ce qu’il représente, rend son souffle à la vie.
Je crois donc, quant à moi, que chacune des 30 épreuves mériterait de s’y attarder plus longuement
« ni tragique ni… mais comique »
« dès que le phallus apparaît… comique »
J’ai appris hier que le cinéaste avait longtemps, lui-même, fait le clown à la télévision
C’est me semble-t-il d’un deuil, de la traversée d’un deuil qu’il s’agit, rendu possible par la menace ( réelle) de la mort et les extraordinaires inventions, interventions de la petite fille.
C’est bien un film qui nous parle du monde contemporain, de la fin du père, de la chute du nom-du-père et du père qu’il faut sauver… « s’en passer à la condition de s’en servir »
Très amicalement tienne, Chère Dominique,
véronique
C’est intéressant de savoir que le réalisateur a éprouvé lui-même ce qu’il en est quand on doit s’efforcer de faire rire envers et contre tout. Ton commentaire est très convaincant, chère Véronique, tu vois dans ce film beaucoup de belles choses – et il t’en inspire aussi de drôles ! Je pense que cette fois je rirais si je revoyais la scène, mais je crains de ne pas en avoir le courage. Malgré cette merveilleuse petite fille, j’ai en effet éprouvé un léger, très léger… ennui. Pas désagréable au demeurant. Mais je ne suis pas bon public au cinéma. J’y suis venue trop tard, je crois ( la trentaine bien sonnée), et j’ai toujours du mal avec les images.
Bien à toi,
Dominique.
je n’ai pas vraiment beaucoup ou souvent ri, et je ne sais pas si le rire est véritablement recherché. nous sommes, je crois, aussi interloqués que la petite fille et les autres spectateurs. c’est un sentiment d’étrangeté, d’intrigue – ou de pitié, cette pitié qui le conduira à finalement… ( ne dévoilons pas la fin) et c’est très vite un sentiment de sympathie et une forme d’admiration.
c’est ce qui en fait je trouve un vrai personnage : on n’y comprend rien… on n’y voit que dalle.
qu’est-ce qui ainsi pousse cet homme déchu, samurai sans épée, ne se remettant pas de la mort de son épouse, en fuite depuis deux ans et demi sans oser affronter ses adversaires, devenu lâche, condamné et poursuivi pour avoir déserté, abandonné sa place de guerrier, qui ne se résout cependant pas à faire seppuku, alors que l’honneur est perdu, et qui, pour sauver sa vie, se met à jouer au clown triste, à se ridiculiser (le pire au dire du film pour un samurai).
et qu’est-ce qui, dans cette solution qu’il trouve, qui s’impose à lui, le métamorphose et passionne les spectateurs ( dans le film), qui s’identifient à lui, s’avérant donc exacte, juste.
( un lien peut-il être fait au « père humilié » de claudel, commenté par Lacan – à vérifier)
mort de sa femme ( mort de sa mère pour l’enfant qu’il doit faire rire) → ébranlement de tous les semblants → perte de son épée dont il ne lui reste que le fourreau, auquel il s’accroche encore, vide → sous la menace de mort ( la condamnation au seppuku s’il n’arrive pas à faire sourire le prince) – le combat où il se lance, à s’humilier pour faire rire, s’avère ce qu’il avait à faire pour retrouver une dignité – et probablement pour rendre leur dignité à tous ses spectateurs ( ce qu’il a perdu, le deuil où il est, s’avérant être de tous – s’agit-il du japon ? perte de la tradition, d’une culture ancestrale extrêmement forte, avancée invasive/trop rapide de la modernité ; s’agit-il du monde ?)
bon, faut que j’aille manger, « on » s’impatiente
bisous,
véronique
Oui, oui, continue… Le rapprochement avec Claudel, c’est passionnant !
Bonne soirée,
Dominique.
Encore une question : quelle place donnes-tu à ces espèces de « démons » ( la joueuse de shamisen, le tireur de pistolets, le chiropracteur Gori-Gori) qui commencent par attenter fantasmatiquement à la vie du héros et qui, pour finir, deviennent ses plus ardents défenseurs ?
Dominique.
ah oui ! bonne question ! à réfléchir ! une idée géraldine ?
Une idée? me demandes-tu Véronique. Oui, merci Dominique, en effet cette question m’amène à développer un peu plus ma réflexion sur la culture du manga et les références qui lui sont faites dans ce film. Tu les nommes « démons » avec les guillemets, et c’est très intéressant. Je les vois chasseurs de prime à la croisée du western et du dessin animé japonais, je les imagine eux-mêmes guerriers solitaires en marge, sorte de caricatures dérisoires ou grotesques, dotés de pouvoirs bizarres et insolites, qui font contre mauvaise fortune bon cœur, introduisant une dimension fantastique à ce qui peut se voir comme un conte pour enfant construit comme un manga. J’y reviendrai dans le texte que je rédige et que je vous ferai parvenir un peu plus tard. Si il y a des spécialistes des mangas, qu’ils se fassent connaitre?
Amitiés.
Géraldine.
Cherchant une citation sur l’ennui, voici que je tombe sur le rire. Je sais bien, il s’agissait de faire sourire le jeune prince. Rien à faire, il ne sourit pas mais, à la fin, les deux enfants finissent par rire ensemble. Et nous, spectateurs, nous ne rions pas, ou peu. L’amie avec qui j’ai vu le film me disait même que les clowneries désespérées de notre samuraï l’avaient plutôt angoissée.
Voici ce que dit Lacan des « appréhensions les plus élémentaires du mécanisme du rire » :
» Le rire touche en effet à tout ce qui est imitation, doublage, sosie, masque, et, si nous regardons de plus près, il ne s’agit pas seulement du masque, mais du démasquage, et cela selon des moments qui méritent qu’on s’y arrête. Vous vous approchez d’un enfant avec la figure recouverte d’un masque, il rit d’une façon tendue, gênée. Vous vous approchez un peu plus, quelque chose commence qui est une manifestation d’angoisse. Vous enlevez le masque, l’enfant rit. Mais si sous ce masque vous avez un autre masque, il ne rit pas du tout. » (…)
« En tous les cas, ce phénomène (…) nous montre qu’il y a un rapport très intense, très serré, entre les phénomènes du rire et la fonction chez l’homme de l’imaginaire. »
Séminaire V, Les formations de l’inconscient, p. 130-131.
Oui ! et comme me disait Géraldine l’autre jour, ils jouent avec le père (mort, son spectre), peuvent redevenir enfants…
Très très très intéressante cette citation que tu nous as retrouvées, merci beaucoup Do !
« Mais si sous ce masque, vous avez un autre masque, il ne rit plus du tout. »
Une autre question que je m’étais posée à propos de Zaya Samuraï, c’est pourquoi, à partir du moment où la petite fille décide de travailler à sauver son père, et où les scénettes commencent à faire rire et vont être ouvertes au public, cela en passe par l’utilisation de machineries plus extraordinaires les unes que les autres ( à commencer par l’homme-canon, qui est un spectacle de cirque). L’homme n’est plus seul avec son seul corps et son silence, mais soutenu par cette machinerie et la prise de parole de la petite fille – qui endosse le rôle de Monsieur Loyal – commençant toujours sa présentation par les mots « Mesdames et Messieurs, admirez cet homme qui… ». S’agit-il de mise en spectacle ? Quelle est cette limite, là franchie ?
« En tous les cas, ce phénomène (…) nous montre qu’il y a un rapport très intense, très serré, entre les phénomènes du rire et la fonction chez l’homme de l’imaginaire. »
Love,
Véronique
Je repense soudain aux toutes dernières images du film : il semblerait que l’ère post-samuraï (comme on dit « post-moderne, car ils ont disparu depuis belle lurette) débouche sur l’enfer des villes modernes, sur fond de discours capitaliste… Nous revenons au fameux déclin du père. Même sa tombe n’est plus qu’une sorte d’îlot dans la circulation, un vestige qui n’a plus de signification pour personne, et va sans doute finir par disparaître. Décidément, ce film est complexe !
chère dominique,
tu écris « vestige sans signification », mais, ce n’est pas ce que j’avais ressenti face à cette dernière image, bien au contraire : la tombe, le mémorial, est là, mais toujours fleuri, une ou deux bougies (me semble-t-il) y brûlant encore…
j’essaierai de trouver l’image…
biIses
véronique
Chères Dominique et Véronique,
J’ai gardé cette image en tête parce-qu’elle m’a intriguée: c’est une tombe, certes vestige d’un temps lointain disparate dans cette ville d’aujourd’hui, pour autant sur laquelle on se recueille encore, comme les épis de maïs, et autres offrandes en témoignent.
Géraldine.